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vendredi 2 décembre 2011

Banco Palmas ou les richesses d’une favela

GRATITUDE et RECONNAISSANCE pour les êtres qui sont à l'initiative de la "Banco Palmas" : quand les richesses des plus démunis créent de la résilience dans une communauté et un Institut 13 ans plus tard, vers où les regards du monde entier en recherche de solutions face à nos impasses monétaires convergent Moralité : rencontrons nos "pauvres", ils sont très riches ! (merci à Maryvonne Piétri pour ce beau texte)
J'ai eu la chance de rencontrer Joachim Melo en décembre 2009 lors d'un séminaire organisé par la ville de Nanterre sur les monnaies complémentaires. Il était intervenu avec beaucoup de modestie sur l'expérience incroyable de la Banco Palmas.
Lors du lancement de la campagne Tous Candidats le vendredi 4 novembre à la Ferme du Buisson de Noisiel, je gardais à l'esprit la faiblesse de notre communication vis-à-vis des populations qui seront les plus concernées par les crises à venir.
L'expérience brésilienne de Joaquim Melo dans Viva Favela est une belle réponse à ce grave sujet, comme nous l'a partagée Célina Whitaker avec beaucoup d'émotion lors de cette soirée.
Voici un article récent sur ce thème qui devrait nous inspirer dans ce temps de crise où la solidarité et la coopération sont plus importantes que jamais dans notre histoire économique et sociale.

Condamnés à produire toujours plus ?

Banco Palmas ou les richesses d’une favela

http://www.ceras-projet.org/index.php?id=5521

João Joaquim de Melo Neto Segundo
Décembre 2011

Banco Palmas fut la première banque communautaire brésilienne. Elle a été inaugurée en juillet 1998 à Palmeiras, quartier populaire de 32000 habitants situé dans la région Sud de Fortaleza, dans le Nordeste brésilien. Les premiers habitants, en majorité des pêcheurs, étaient arrivés en 1973, expulsés du littoral pour laisser le champ libre à la construction de complexes touristiques. Ils construisirent des baraques, donnant ainsi naissance à une grande favela, sans réseau sanitaire, ni traitement des eaux, ni énergie électrique, ni école, ni aucun autre service public. En 1981, les habitants du quartier de Palmeiras constituèrent une association, l’Asmoconp [1], et les familles commencèrent à s’organiser. Grâce à diverses mobilisations populaires et à des partenariats, l’organisation construisit petit à petit le quartier, dans une logique d’entraide communautaire.
En 1997, malgré de réelles améliorations urbaines, le quartier souffrait toujours de la faim et de la pauvreté. À la question : « Pourquoi sommes-nous pauvres? », tous répondaient : « Parce que nous n’avons pas d’argent! ». L’Asmoconp mena alors une enquête dans le quartier [2] : « Que consommez-vous en produits alimentaires, en produits d’entretien, d’hygiène et de beauté? En quelle quantité chaque mois? Quelle est la marque des produits? Où les achetez-vous? Produisez-vous quelque chose? » Les résultats furent surprenants. Les familles de Palmeiras dépensaient 1200000 réaux par mois [580000 dollars US, ndlr], mais la grande majorité des achats se faisait en dehors du quartier et les produits étaient ceux de marques répandues, souvent étrangères. Seules 20 % des familles déclaraient faire leurs achats dans le quartier.

Relocaliser l’économie

L’Asmoconp engagea alors un dialogue avec les habitants : « Nous ne sommes pas pauvres, mais nous le devenons car nous achetons tout en dehors du quartier. » Au cours de l’année 1997, 96 réunions se sont tenues avec les habitants, producteurs, commerçants et leaders du quartier, en vue d’élaborer un projet qui puisse faciliter la circulation des revenus des habitants à l’intérieur de la communauté. C’est ainsi qu’en janvier 1998 est né Banco Palmas, avec un fonds de 2000 réaux seulement [moins de 1000 dollars US, ndlr], empruntés à une ONG locale.
Banco Palmas a trois principales caractéristiques : la gestion (y compris l’administration des ressources) est faite par la communauté elle-même; un système intégré de développement local dynamise le crédit, la production, la commercialisation et la formation; la banque fonctionne avec une monnaie locale, le palmas. Complémentaire de la monnaie officielle (le réal), le palmas est accepté et reconnu par les producteurs, les commerçants et les consommateurs du quartier; il permet de créer un marché solidaire et alternatif entre les familles.
Au-delà d’une institution traditionnelle de micro-finance, cette banque communautaire vise le développement du quartier comme un tout et non celui d’individus isolés. Elle part du principe que personne ne vainc la pauvreté seul. Ainsi, toutes ses actions ont pour objectif de créer sur le territoire un réseau local de « prosommateurs » : tous les habitants sont à la fois producteurs, consommateurs et acteurs sociaux du changement. Pour développer ce réseau, la banque propose des actions variées de finances solidaires : microcrédit productif à taux d’intérêt inférieurs au marché, instruments d’incitation à la consommation locale (carte de crédit et monnaie sociale circulante), épargne, système de protection des entrepreneurs (micro-assurance), éducation à l’économie solidaire, inclusion bancaire et nouvelles formes de commercialisation (marchés et boutiques solidaires), stimulant localement la création d’emplois et de revenus. Le contrôle social de ce système se réalise à travers le Forum socio-économique local (Fecol). Celui-ci se réunit tous les mercredis et constitue un espace d’articulation avec la société civile, ouvert à tous les habitants. Avec une moyenne de 60 habitants par réunion, le Fecol travaille sur les conditions de vie du quartier et sur Banco Palmas.

Le palmas, monnaie locale sociale

Un palmas égale un réal. Les entrepreneurs de la communauté peuvent ainsi changer leurs palmas chaque fois qu’ils veulent acheter des produits qui ne sont pas fabriqués dans le quartier. Le palmas est accepté par 240 entreprises, qui offrent une réduction de 5 % à 20 % pour ceux et celles qui font leurs achats dans la monnaie du quartier. L’objectif est de faire circuler l’argent au sein de la communauté, pour augmenter les capacités de commercialisation locale et pour créer travail et revenus. En septembre 2011, Banco Palmas estimait que 50000 palmas (29 000 dollars US, ndlr) circulaient quotidiennement dans le quartier.
Il existe trois façons d’acquérir des palmas : en faisant un emprunt à la banque communautaire en palmas, sans taux d’intérêt, en échangeant des réaux contre des palmas, pour bénéficier de la réduction dans les commerces, ou en recevant une partie de son salaire en palmas. La carte de production et de consommation locale réalisée en 2011 indique que 93 % de la population du quartier de Palmeiras achète désormais dans le quartier plutôt qu’en dehors (contre 20 % en 1997).
Après treize ans d’existence, Banco Palmas possède un portefeuille de 3 millions de réaux, avec des ressources gérées en partenariat avec la Banque nationale de développement économique et social (BNDES). De janvier à septembre 2011, elle a prêté plus de 4 millions de réaux en crédit productif à 3 000 familles du quartier ou de ses alentours. 1500 crédits ont été attribués à des femmes très pauvres insérées dans le programme Bolsa familia [3]. La banque a créé un projet d’inclusion socio-productive (projet Elas) à leur intention [4].
Mandatée par le ministère fédéral du Travail et de l’Emploi, l’Université du Ceara a évalué en mars 2008 l’impact et l’image de la banque dans le Conjunto Palmeiras : 90 % des interviewés déclarent que Banco Palmas a contribué à améliorer leur qualité de vie. Grâce à son action, 26 % ont augmenté leurs revenus familiaux, 22 % ont trouvé du travail, 6 entreprises communautaires et 1900 emplois ont été créés et les ventes dans les commerces locaux ont augmenté de 30 %.

Changer d’échelle

En vue de diffuser la technologie sociale ainsi acquise, les habitants du quartier ont créé, en 2003, l’Institut Palmas. En septembre 2011, on comptait 64 banques communautaires en fonctionnement dans les périphéries urbaines et les zones rurales du Brésil; elles sont toutes associées au Réseau brésilien des banques communautaires. Elles fonctionnent comme des associations locales d’intérêt public, généralement sans structure institutionnelle, et agissent dans le domaine du microcrédit. L’Institut Palmas, gestionnaire du réseau, leur apporte un support légal et technique.
Même en cette période de crise financière, le réseau croît dans tout le Brésil. Suivant un modèle décentralisé, sous un contrôle social local, il a déjà aidé plus de 300 000 producteurs et consommateurs. Mais les défis restent énormes. Alors que 79 millions de Brésiliens sont exclus du système financier et bancaire, le Réseau des banques communautaires répond annuellement aux besoins d’à peine cent mille personnes. L’objectif est de pouvoir servir 5 millions de personnes vivant dans l’extrême pauvreté dans les trois prochaines années, soit 30 % des Brésiliens les plus démunis.
Pour ce faire, il faut créer mille banques communautaires d’ici à 2014. Aussi le réseau travaille-t-il à l’adoption d’un projet de loi créant un système national des finances populaires et solidaires. Un tel système permettrait non seulement d’utiliser des ressources publiques pour créer de nouvelles banques communautaires, mais aussi de gérer l’épargne des associés, injectant ainsi chaque année des millions de réaux dans les banques communautaires. Il résoudrait le problème d’accès au crédit des Brésiliens vivant dans l’extrême pauvreté. Voilà le grand défi des prochaines années.

João Joaquim de Melo Neto Segundo,

João Joaquim de Melo Neto Segundo, 49 ans, éducateur populaire et leader communautaire, est l’un des créateurs de la banque communautaire Banco Palmas (Brésil). Il est actuellement coordinateur de l’Institut Palmas et anime le Réseau brésilien des banques communautaires.

Notes

1 . « Associação dos moradores do conjunto Palmeira », association des habitants du quartier de Palmeiras.
2 . L’Amasconp effectue cette enquête, la « carte de production et de consommation locale », tous les trois ans.
3 . Ce programme du gouvernement fédéral assure une aide financière de 120 réaux par mois pour douze millions de familles ayant un revenu par tête égal ou inférieur à 90 réaux par mois. Le Brésil compte 16,2 millions de personnes vivant dans l’extrême pauvreté, selon le recensement 2010 publié par l’Institut brésilien de géographie et de statistiques (IBGE). Une personne est dite dans l’extrême pauvreté si son revenu mensuel est inférieur à 70 réaux (un peu plus de 2 dollars par jour). Selon l’IBGE, le Nordeste concentre 59,1 % des Brésiliens extrêmement pauvres (9,61 millions d’individus en 2010) et la région Norte, 16 % (2,65 millions de personnes).
4 . Ligne de crédit productif pour les femmes qui désirent créer une petite entreprise et accompagnement par les agents d’insertion.

Pour citer cette page

João Joaquim de Melo Neto Segundo, « Banco Palmas ou les richesses d’une favela », Ceras - revue Projet n°324-325, Décembre 2011.  http://www.ceras-projet.com/index.php?id=5387.

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