L'expérience brésilienne de Joaquim Melo dans Viva Favela est une belle réponse à ce grave sujet, comme nous l'a partagée Célina Whitaker avec beaucoup d'émotion lors de cette soirée. e gardais à l'esprit la
faiblesse de notre communication vis-à-vis des populations qui seront
les plus concernées par les crises à venir.
Condamnés à produire toujours plus ?
Banco Palmas ou les richesses d’une favela
http://www.ceras-projet.org/index.php?id=5521
João Joaquim de Melo Neto Segundo
Décembre 2011
Banco
Palmas fut la première banque communautaire brésilienne. Elle a été
inaugurée en juillet 1998 à Palmeiras, quartier populaire de 32000
habitants situé dans la région Sud de Fortaleza, dans le Nordeste
brésilien. Les premiers habitants, en majorité des pêcheurs, étaient
arrivés en 1973, expulsés du littoral pour laisser le champ libre à la
construction de complexes touristiques. Ils construisirent des baraques,
donnant ainsi naissance à une grande favela, sans réseau sanitaire, ni
traitement des eaux, ni énergie électrique, ni école, ni aucun autre
service public. En 1981, les habitants du quartier de Palmeiras
constituèrent une association, l’Asmoconp [1],
et les familles commencèrent à s’organiser. Grâce à diverses
mobilisations populaires et à des partenariats, l’organisation
construisit petit à petit le quartier, dans une logique d’entraide
communautaire.
En
1997, malgré de réelles améliorations urbaines, le quartier souffrait
toujours de la faim et de la pauvreté. À la question : « Pourquoi
sommes-nous pauvres? », tous répondaient : « Parce que nous n’avons pas
d’argent! ». L’Asmoconp mena alors une enquête dans le quartier [2] :
« Que consommez-vous en produits alimentaires, en produits d’entretien,
d’hygiène et de beauté? En quelle quantité chaque mois? Quelle est la
marque des produits? Où les achetez-vous? Produisez-vous quelque
chose? » Les résultats furent surprenants. Les familles de Palmeiras
dépensaient 1200000 réaux par mois [580000 dollars US, ndlr],
mais la grande majorité des achats se faisait en dehors du quartier et
les produits étaient ceux de marques répandues, souvent étrangères.
Seules 20 % des familles déclaraient faire leurs achats dans le
quartier.
Relocaliser l’économie
L’Asmoconp
engagea alors un dialogue avec les habitants : « Nous ne sommes pas
pauvres, mais nous le devenons car nous achetons tout en dehors du
quartier. » Au cours de l’année 1997, 96 réunions se sont tenues avec
les habitants, producteurs, commerçants et leaders du quartier, en vue
d’élaborer un projet qui puisse faciliter la circulation des revenus des
habitants à l’intérieur de la communauté. C’est ainsi qu’en
janvier 1998 est né Banco Palmas, avec un fonds de 2000 réaux seulement
[moins de 1000 dollars US, ndlr], empruntés à une ONG locale.
Banco
Palmas a trois principales caractéristiques : la gestion (y compris
l’administration des ressources) est faite par la communauté elle-même;
un système intégré de développement local dynamise le crédit, la
production, la commercialisation et la formation; la banque fonctionne
avec une monnaie locale, le palmas. Complémentaire de la monnaie
officielle (le réal), le palmas est accepté et reconnu par les
producteurs, les commerçants et les consommateurs du quartier; il permet
de créer un marché solidaire et alternatif entre les familles.
Au-delà
d’une institution traditionnelle de micro-finance, cette banque
communautaire vise le développement du quartier comme un tout et non
celui d’individus isolés. Elle part du principe que personne ne vainc la
pauvreté seul. Ainsi, toutes ses actions ont pour objectif de créer sur
le territoire un réseau local de « prosommateurs » : tous les habitants
sont à la fois producteurs, consommateurs et acteurs sociaux du
changement. Pour développer ce réseau, la banque propose des actions
variées de finances solidaires : microcrédit productif à taux d’intérêt
inférieurs au marché, instruments d’incitation à la consommation locale
(carte de crédit et monnaie sociale circulante), épargne, système de
protection des entrepreneurs (micro-assurance), éducation à l’économie
solidaire, inclusion bancaire et nouvelles formes de commercialisation
(marchés et boutiques solidaires), stimulant localement la création
d’emplois et de revenus. Le contrôle social de ce système se réalise à
travers le Forum socio-économique local (Fecol). Celui-ci se réunit tous
les mercredis et constitue un espace d’articulation avec la société
civile, ouvert à tous les habitants. Avec une moyenne de 60 habitants
par réunion, le Fecol travaille sur les conditions de vie du quartier et
sur Banco Palmas.
Le palmas, monnaie locale sociale
Un
palmas égale un réal. Les entrepreneurs de la communauté peuvent ainsi
changer leurs palmas chaque fois qu’ils veulent acheter des produits qui
ne sont pas fabriqués dans le quartier. Le palmas est accepté par 240
entreprises, qui offrent une réduction de 5 % à 20 % pour ceux et celles
qui font leurs achats dans la monnaie du quartier. L’objectif est de
faire circuler l’argent au sein de la communauté, pour augmenter les
capacités de commercialisation locale et pour créer travail et revenus.
En septembre 2011, Banco Palmas estimait que 50000 palmas
(29 000 dollars US, ndlr) circulaient quotidiennement dans le quartier.
Il
existe trois façons d’acquérir des palmas : en faisant un emprunt à la
banque communautaire en palmas, sans taux d’intérêt, en échangeant des
réaux contre des palmas, pour bénéficier de la réduction dans les
commerces, ou en recevant une partie de son salaire en palmas. La carte
de production et de consommation locale réalisée en 2011 indique que
93 % de la population du quartier de Palmeiras achète désormais dans le
quartier plutôt qu’en dehors (contre 20 % en 1997).
Après
treize ans d’existence, Banco Palmas possède un portefeuille de
3 millions de réaux, avec des ressources gérées en partenariat avec la
Banque nationale de développement économique et social (BNDES). De
janvier à septembre 2011, elle a prêté plus de 4 millions de réaux en
crédit productif à 3 000 familles du quartier ou de ses alentours. 1500
crédits ont été attribués à des femmes très pauvres insérées dans le
programme Bolsa familia [3]. La banque a créé un projet d’inclusion socio-productive (projet Elas) à leur intention [4].
Mandatée
par le ministère fédéral du Travail et de l’Emploi, l’Université du
Ceara a évalué en mars 2008 l’impact et l’image de la banque dans le
Conjunto Palmeiras : 90 % des interviewés déclarent que Banco Palmas a
contribué à améliorer leur qualité de vie. Grâce à son action, 26 % ont
augmenté leurs revenus familiaux, 22 % ont trouvé du travail, 6
entreprises communautaires et 1900 emplois ont été créés et les ventes
dans les commerces locaux ont augmenté de 30 %.
Changer d’échelle
En
vue de diffuser la technologie sociale ainsi acquise, les habitants du
quartier ont créé, en 2003, l’Institut Palmas. En septembre 2011, on
comptait 64 banques communautaires en fonctionnement dans les
périphéries urbaines et les zones rurales du Brésil; elles sont toutes
associées au Réseau brésilien des banques communautaires. Elles
fonctionnent comme des associations locales d’intérêt public,
généralement sans structure institutionnelle, et agissent dans le
domaine du microcrédit. L’Institut Palmas, gestionnaire du réseau, leur
apporte un support légal et technique.
Même
en cette période de crise financière, le réseau croît dans tout le
Brésil. Suivant un modèle décentralisé, sous un contrôle social local,
il a déjà aidé plus de 300 000 producteurs et consommateurs. Mais les
défis restent énormes. Alors que 79 millions de Brésiliens sont exclus
du système financier et bancaire, le Réseau des banques communautaires
répond annuellement aux besoins d’à peine cent mille personnes.
L’objectif est de pouvoir servir 5 millions de personnes vivant dans
l’extrême pauvreté dans les trois prochaines années, soit 30 % des
Brésiliens les plus démunis.
Pour
ce faire, il faut créer mille banques communautaires d’ici à 2014.
Aussi le réseau travaille-t-il à l’adoption d’un projet de loi créant un
système national des finances populaires et solidaires. Un tel système
permettrait non seulement d’utiliser des ressources publiques pour créer
de nouvelles banques communautaires, mais aussi de gérer l’épargne des
associés, injectant ainsi chaque année des millions de réaux dans les
banques communautaires. Il résoudrait le problème d’accès au crédit des
Brésiliens vivant dans l’extrême pauvreté. Voilà le grand défi des
prochaines années.
João Joaquim de Melo Neto Segundo,
João Joaquim de Melo
Neto Segundo, 49 ans, éducateur populaire et leader communautaire, est
l’un des créateurs de la banque communautaire Banco Palmas (Brésil). Il
est actuellement coordinateur de l’Institut Palmas et anime le Réseau
brésilien des banques communautaires.
Notes
1 . « Associação dos moradores do conjunto Palmeira », association des habitants du quartier de Palmeiras.
2 . L’Amasconp effectue cette enquête, la « carte de production et de consommation locale », tous les trois ans.
3
. Ce programme du gouvernement fédéral assure une aide financière de
120 réaux par mois pour douze millions de familles ayant un revenu par
tête égal ou inférieur à 90 réaux par mois. Le Brésil compte
16,2 millions de personnes vivant dans l’extrême pauvreté, selon le
recensement 2010 publié par l’Institut brésilien de géographie et de
statistiques (IBGE). Une personne est dite dans l’extrême pauvreté si
son revenu mensuel est inférieur à 70 réaux (un peu plus de 2 dollars
par jour). Selon l’IBGE, le Nordeste concentre 59,1 % des Brésiliens
extrêmement pauvres (9,61 millions d’individus en 2010) et la région
Norte, 16 % (2,65 millions de personnes).
4
. Ligne de crédit productif pour les femmes qui désirent créer une
petite entreprise et accompagnement par les agents d’insertion.
Pour citer cette page
João Joaquim de Melo Neto Segundo, « Banco Palmas ou les richesses d’une favela », Ceras - revue Projet n°324-325, Décembre 2011. http://www.ceras-projet.com/index.php?id=5387.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Afin d'éviter les spams, je modère les commentaires reçus et je me permettrai de ne pas publier ceux qui ne respectent pas les valeurs éthiques de bienveillance et de respect mutuel.
Veuillez donc svp m'excuser si je tarde un peu à les valider. Pour plus de transparence, ce serait chouette de signer vos commentaires.