[
Traduction de Extinction et la Révolution de l'Amour une peu plus bas]
Une des personnes qui représente le mieux ce que je comprends d'une culture régénératrice est Charles Eisenstein, essayiste, conférencier et avocat de l'économie du don (
https://en.wikipedia.org/wiki/Charles_Eisenstein)
Un petit cadeau pour ceux/celles qui voudraient en savoir plus sur sa pensée :
son dernier livre
Climate - a new story, résumé et traduit ici :
Et si le monde dont nous rêvons était en chemin ?
https://medium.com/@al.romanet/et-si-le-monde-dont-nous-r%C3%AAvons-%C3%A9tait-en-chemin-cd54465c160e
Par ailleurs, mon amie Marianne Souliez traduit régulièrement des textes de Charles Eisenstein :
Construire un récit de paix :
https://mariannesouliez.com/2019/09/14/construire-un-recit-de-paix
Faire de chaque geste une cérémonie :
https://mariannesouliez.com/2019/05/27/faire-de-chaque-geste-une-ceremonie
Et si vous avez envie d'aller plus loin :
Sacred Economy / Économie sacrée de Charles Eisenstein.
La Monnaie, le Don et la Société dans l'Ère de la Transition
Le but de ce livre est de faire en sorte que l’argent et l’économie soient aussi sacrés que tout le reste de l’univers.
Introduction en français :
http://sacred-economics.com/economie-sacree-introduction/
Traduction libre et complète du livre par Alexandre Bessodes :
http://sacred-economics.com/wp-content/uploads/2012/01/SEFrench-Charles-Eisenstein-.pdf
Je vous propose cette traduction rapide d'un texte qui me semble majeur dans la période actuelle.
1.
Aucune demande n'est assez importante
Contrairement
à l'idée qu'elle se fait d'elle-même, Extinction
Rébellion ne concerne pas réellement le changement climatique. La
question du climat est plutôt le vecteur de l'expression d'un désir
plus profond. Greta Thunberg et les grévistes du climat incarnent le
refus de se conformer à un système qui est contre la vie. "Je
n'irai pas à l'école. Je ne participerai pas à cela. Je ne veux
pas faire partie du programme."
L'urgence
climatique donne forme à une aliénation intuitive et inarticulée
du projet de civilisation tel qu'il se présente. Elle offre un point
focal à identifier comme la source du mal. Elle canalise, sur un point spécifique, l'aspiration révolutionnaire à tout changer. Mais, si nous
devions nous réveiller demain en apprenant que la science s'est
trompée et que les températures mondiales se sont stabilisées,
l'énergie motrice des manifestants persisterait. Parce qu'ils
reconnaissent que le défi - auquel l'humanité est confrontée - n'est
pas : "Comment maintenir le statu quo en utilisant des carburants
neutres en carbone ?", alors il n'est pas acceptable de faire comme si de
rien n'était, et changer de carburant ne résoudra rien.
Comme les
radicaux contre la guerre des années 60, comme les manifestants
anti-mondialisation des années 90, comme les participants d'Occupy Wall
Street, ils n'aspirent pas à de petites réformes. Ils savent que
les petites réformes ne vont pas assez en profondeur. Ils
reconnaissent, consciemment ou non, que l'écocide est une
caractéristique et non un bug
du système socio-économique actuel. Ils savent que nous pouvons
faire mieux qu'un monde de pauvreté, d'inégalité, de guerre, de
violence domestique, de racisme et de destruction de l'environnement.
Et ils savent que chacun de ces éléments en génère d'autres.
En d'autres
termes, la question n'est pas de savoir si notre civilisation
actuelle est soutenable.
Les questions sont :
Souhaitons-nous seulement la garder en l'état ?
Ne
pouvons-nous pas faire mieux que cela ?
Lors de
l'inauguration du camp d’Extinction Rebellion à
Berlin en octobre dernier, j'ai tenté de deviner ce qu'était
réellement ce mouvement. Ce que nous voulons vraiment, ai-je dit,
c'est que l'humanité tienne à nouveau la nature pour sacrée. Ce
que nous voulons, c'est passer d'une société de domination à une
société de participation, de la conquête à la co-création, de
l'extraction à la régénération, du mal à la guérison, et de la
séparation à l'amour. Et nous souhaitons mettre en œuvre cette
transition dans toutes nos relations : écologiques, économiques,
politiques et personnelles. C'est pourquoi nous pouvons dire : "La
révolution, c'est l'amour".
Un tel
objectif ne se traduit pas facilement en exigences politiquement
articulables. Toutes les demandes que je pourrais formuler sont soit
trop petites, soit trop grandes. Si elle est politiquement
concevable, la demande est trop petite. Si elle relève du pouvoir et
de la volonté des autorités politiques existantes de la mettre en
œuvre et si elle s'inscrit dans l'univers politique actuel, elle ne
devrait pas nécessiter de changement fondamental. Au mieux, de telles
demandes atténuent un symptôme ou suggèrent une direction que nous
pourrions suivre, une destination à laquelle nous pourrions aspirer.
Au pire, elles nous feraient jouer un air divertissant pour accompagner
la marche vers la mort du monde.
Si, en
revanche, nous formulons des exigences à la mesure de l'ampleur du
changement que nous souhaitons voir se produire, alors nous nous demanderons : à
qui ces exigences doivent-elles être adressées ? Imaginons-nous que
l'économie industrielle mondiale et l'appareil politique qui
l'entoure soient un train de marchandises et que nous puissions
simplement demander à l'ingénieur de mettre les gaz ? Les élites
politiques et corporatives sont aussi impuissantes que les autres,
soumises à des forces qui échappent à leur contrôle et, pour la
plupart, à leur compréhension. Ce que nous voulons vraiment - le
monde plus beau que notre cœur sait possible et dont la possibilité
non réalisée déclenchera une nouvelle rébellion à chaque
génération - est au-delà du pouvoir que toute autorité puisse accorder. Cela ne signifie pas que c'est impossible, ni que nous
sommes impuissants pour le faire advenir. Ce que cela signifie, c'est
que le langage du plaidoyer peut ne pas être approprié.
Le système
basé sur les combustibles fossiles a une énorme inertie. Il est
présent dans toutes les facettes de la vie moderne, de la médecine
à l'agriculture, en passant par les transports, la fabrication et le
logement. Tout militant doit comprendre qu'une demande de sortie des
combustibles fossiles est une demande de changement global, et que
cette demande est impossible à satisfaire. Son objectif n'est pas
impossible ; c'est bien au service d'un changement global que nous sommes là. Mais il ne peut pas être obtenu grâce à un simple plaidoyer, car
personne n'a le pouvoir de le réaliser.
Même les
demandes formulées par Extinction Rébellion sont impossibles à
satisfaire pour le pouvoir actuellement constitué. Regardez ce qui
se passe lorsque les gouvernements augmentent les taxes sur les
carburants. Les émeutes et les protestations dans le monde entier,
de la France à l'Équateur, du Zimbabwe à l'Indonésie, suivent les
hausses des prix du carburant, et les gouvernements doivent soit
capituler soit envoyer des troupes pour réprimer les troubles. (Ils
font généralement les deux, car l'annulation des hausses de prix ne
peut pas apaiser les troubles plus profonds qu'ils ont pu déclencher).
Comme les combustibles fossiles font partie intégrante de la société
mondialisée, s'en éloigner implique un bouleversement total de la
société. Il ne s'agit pas seulement de remplacer les combustibles
fossiles par le solaire, l'éolien et/ou la biomasse, en appliquant peut-être
aussi des dispositifs de capture du carbone et des technologies
de géo-ingénierie afin de réduire les émissions de carbone et
permettre la poursuite des activités habituelles. Non. Le problème
de l'intermittence, les exigences en matière d'utilisation des
terres et les limites de l'approvisionnement en minéraux issus des terres
rares rendent cela
impossible.
Mais même si nous pouvions continuer comme si de rien n'était, le souhaitons-nous vraiment ?
En faisant
de toute chose une revendication, nous renforçons les relations de
pouvoir politique existantes. Nous limitons les actions que nous pouvons
réaliser en fonction des personnes au pouvoir, et aptes à nous donner leur accord. Nous
conférons ainsi le pouvoir à celles et ceux que nous tenons pour puissant.e.s, et nous
les érigeons inévitablement en ennemi.e.s lorsqu'ils/elles ne parviennent
pas à mettre en œuvre notre ultimatum.
Une demande
implique une menace : "Faites ce que je dis - ou sinon !" Faire
une demande, soutenue par la menace de la force ou tout au moins par la menace
de désagrément, que quelqu'un est incapable de satisfaire, c'est en
faire un adversaire. Les mouvements qui agissent ainsi ont tendance à
se réduire avec le temps, et non à se développer. Exclus du public
qu'ils essaient de sauver et incapables d'obtenir des résultats
tangibles, ils se réduisent à un cadre de martyrs bien-pensants.
Nous avons vu le même schéma se reproduire encore et encore.
Inévitablement, la police confirme cette attitude moralisatrice en
commettant des actes de brutalité dans le cadre du maintien de
l'ordre. Le débat porte sur la question de savoir si la violence
policière est justifiée, si les mesures violentes sont justifiées
à leur tour et enfin sur qui sont les bons et qui sont les méchants. Ce sont
les manifestations elles-mêmes qui sont alors au centre du débat, et non
pas le sujet des manifestations. Les manifestants tentent de tirer
parti de chaque incident de violence policière pour faire pencher
l'opinion publique de leur côté - nous devons être les gentils,
car regardez comme le gouvernement est mauvais. Il s'ensuit une
guerre médiatique, une lutte pour contrôler le récit. Au sein de
leurs bulles médiatiques distinctes et des chambres d'écho des
médias sociaux, chaque camp devient de plus en plus convaincu de sa
vertu et de la turpitude de l'autre. De cette façon, les deux camps
mettent en scène le drame archétypique que nous appelons la guerre,
en adoptant l'hypothèse séculaire selon laquelle la clé de la
résolution de tout problème est de surmonter un ennemi. Le progrès
se gagne par un combat, une lutte pour la domination. Ne voyons-nous
pas que la même mentalité de domination sous-tend l'écocide de la
civilisation ? Un autre type de révolution s'impose.
Il y a un
certain réconfort à établir un ensemble d'ennemis comme la clé de
la résolution d'une crise. Nous remplaçons un objectif que nous ne
savons pas comment atteindre (tout changer) par un objectif que nous savons obtenir (renverser un dirigeant, renverser un gouvernement, prendre
le pouvoir politique). De cette façon, l'illusion du pouvoir
détourne notre énergie révolutionnaire vers un objectif moindre.
Si l'ingénieur ne veut pas mettre les gaz, alors pourquoi ne le jetterions pas hors du train pour mettre nous-mêmes les gaz.
Probablement, comme la plupart des révolutionnaires, nous ne
parviendrons pas du tout à prendre le contrôle. Dans le cas peu
probable où nous réussirions et où nous nous retrouverions dans la
salle des machines, nous découvririons que nous sommes tout aussi
incapables de mettre les gaz que l'était son occupant précédent.
Rien de
tout cela ne signifie que nous devrions abandonner et rentrer chez
nous. Faisons confiance à l'espoir. L'espoir authentique n'est pas
une distraction de la réalité, c'est la prémonition d'une
possibilité. Pour l'atteindre, nous devons sortir du cercle vicieux
conventionnel problème-solution, dans lequel chaque solution génère
le même problème sous une autre forme. Le diagnostic conventionnel
du problème du changement climatique fait lui-même partie du
problème, et il en va de même pour les solutions qui en découlent.
En sortant de ce cercle vicieux, nous pouvons arriver à des demandes
différentes et, plus important encore, à des moyens de faire face à la
crise qui échappent à la mentalité d'exiger.
2.
Exclusion et réduction du carbone
L'incapacité
de nos dirigeants à apporter des changements significatifs reflète
l'incapacité du public. J'ai entendu l'histoire de quelques
manifestants londoniens qui ont réussi à arrêter une rame de
métro. Sans doute pensaient-ils que les désagréments subis par les
passagers n'étaient rien comparés à côté de sauver la race
humaine de l'extinction. Il faut agir de façon dramatique !
Peut-être un boycott général de tous les transports de
combustibles fossiles. Les passagers n'étaient pas d'accord. L'un
d'eux a dit : "Peut-être que je suis en route pour l'hôpital -
y avez-vous pensé ?" Beaucoup sont issus de la classe ouvrière
et font la navette pour des emplois dont leur famille dépend. Dans
une mesure plus ou moins grande, la vie de la plupart des gens est
également liée à cette machine de destruction du monde. Faire appel à
la vertu personnelle pour persuader les gens de consommer moins, de
brûler moins, de rouler moins, est inutile lorsqu'ils vivent dans un
système qui les oblige à consommer, brûler et rouler, juste pour
survivre.
Les
tactiques de perturbation aliènent les personnes qui en souffrent,
en leur affirmant "Nous sommes prêts à vous sacrifier à la Cause. Nous sommes là pour vous sauver - que cela vous plaise ou non
!" Ce faisant, les manifestants créent dans leurs relations publiques
la même dynamique d'affrontement entre nous et eux que celle qui caractérise leurs
relations avec les autorités.
Pouvez-vous
penser à d'autres contextes où certains doivent être sacrifiés,
contre leur gré, pour le plus grand bien ? Où certains êtres sont
simplement sur le chemin du progrès ? Où la liberté d'une personne
est bafouée sans son consentement ? Cela ne veut pas dire qu'il faut
obtenir le consentement de toutes les personnes concernées avant de
lancer une action de protestation. Il s'agit simplement de les
prendre en compte. S'arrêter un instant pour voir le monde à
travers leurs yeux, et comprendre leur expérience de vie. C'est faire preuve d'empathie. L'empathie n'est pas disponible lorsque le
brouillard du jugement obscurcit le cœur.
La méfiance
du public à l'égard des militants est encore renforcée par
l'attitude moralisatrice qui est codifiée dans les appels à la
vertu personnelle. Si nous nous considérons comme vertueux pour
notre militantisme et nos modes de vie à faible émission de
carbone, et si nous nous accordons à nous féliciter et à faire
partie des rangs de la morale, nous jetons ainsi les autres dans les
rangs des immoraux, des ignorants, des mauvais. Plus nous nous
aspergeons du parfum de la vertu, plus nous dégageons la puanteur de
la moralité. Nous serions plus efficaces si, au lieu de nous tenir à
l'écart dans un jugement impitoyable, nous cherchions à comprendre
profondément la totalité des circonstances de ceux que nous
jugeons. C'est ce qu'on appelle l'inclusivité. C'est la porte
d'entrée vers une révolution de l'amour.
Une grande
partie du caractère clivant et excluant provoquée par le mouvement environnemental découle de la
réduction du "vert" à une fonction de comptabilité du
carbone - une dangereuse simplification qui laisse de côté les
êtres, y compris les êtres humains, qui semblent ne pas "compter".
Quelle est la contribution des baleines en matière de carbone ? Des
tortues de mer ? Des usagers du métro ? Des sans-abri ? Des prisonniers ? Des
rossignols ? Des hiboux ? Des loups ? Quand apprendrons-nous que les
êtres que nous excluons finissent par être les plus importants de
tous ? Quand apprendrons-nous que nous sommes tous dans le même
bateau ? Ce n'est pas le genre de révolution où nous sacrifions
certains êtres pour "la cause" du sauvetage du monde,
c'est une révolution où nous reconnaissons que la guérison viendra
en valorisant les dévalorisés. Après tout, qu'est-ce qui a été
exclu et dévalorisé plus que la nature elle-même ? Valoriser les
êtres de la nature en termes de carbone, une quantité mesurable
soumise aux habituelles analyses coûts-bénéfices, n'est pas une
très grande différence par rapport à la valorisation de ses êtres
en termes d'argent. Tout et tous ceux qui ne sont pas pris en compte
dans cette évaluation reviendront nous hanter, car la vérité est
que tous sont importants pour maintenir les conditions d'une vie
prospère.
Qu'est-ce
qui est dévalué quand on compte le carbone ? Qu'est-ce qui n'est
pas compté ? Les écosystèmes, par exemple. Pour développer les
technologies "d'énergie verte" telles que les panneaux
solaires, les batteries, les éoliennes et les véhicules
électriques, il faudrait une grande augmentation de l'exploitation
minière. Le lecteur comprend-il à quoi ressemble une grande
exploitation minière ? Ce n'est pas un trou inoffensif dans le sol.
Voici une description de la mine d'argent de Peñasquito au Mexique :
S'étendant sur
près de 100 kilomètres carrés, l'opération est d'une ampleur
stupéfiante : un vaste complexe de mines à ciel ouvert creusé dans
les montagnes, flanqué de deux décharges de déchets d'un kilomètre
chacune, et une digue de résidus pleine de boues toxiques retenue
par un mur de 15 kilomètres de circonférence et aussi haut qu'un
gratte-ciel de 50 étages. Cette mine produira 11 000 tonnes d'argent
en 10 ans avant que ses réserves, les plus importantes du monde, ne
disparaissent.
Pour faire
passer l'économie mondiale aux énergies renouvelables, nous devons
mettre en service jusqu'à 130 mines supplémentaires à l'échelle
du Peñasquito. Juste pour l'argent.
Des mines
similaires sont nécessaires pour répondre à la demande croissante
d'énergie renouvelable en cuivre, néodyme, lithium, cobalt et
autres minéraux. Chacune d'entre elles avale les forêts et les
autres écosystèmes, empoisonne les nappes phréatiques et génère
de grandes quantités de déchets toxiques. Chacune génère une
misère sociale indicible qui accompagne la misère écologique, et
une géopolitique tout comme celle de l'extraction du pétrole. Il
suffit de voir le
coup
d'État blanchi en Bolivie, qui possède d'énormes
réserves de lithium que le président évincé, Evo Morales, avait
prévu de nationaliser.
Les autres
principales technologies d'énergie renouvelable - l'hydroélectricité
et la biomasse - sont, lorsqu'elles sont produites à l'échelle
industrielle, peut-être même plus horribles sur le plan écologique
que l'exploitation minière, ce qui entraîne la dislocation des
populations et la destruction des écosystèmes. Cela ne peut pas
être ce que nous, environnementalistes, avons à l'esprit :
convertir le biote (l'ensemble des organismes vivants) de la Terre en carburant et ses rivières en
centrales électriques.
Ceux qui se
soucient de cette terre, je vous en prie : faites attention à ce que
vous demandez. Faites attention aux mauvaises demandes - les demandes
trop petites qui ne changent rien en réalité et qui pourraient
causer plus de mal que de bien. Méfiez-vous des solutions que votre
pression et votre urgence vous invitent à adopter. Certaines d'entre
elles peuvent être des solutions qui exacerbent le problème, des
solutions qui sont acceptables pour le pouvoir établi parce qu'elles
ne menacent pas ses fondements.
Il est
certain que l'extraction des combustibles fossiles cause d'horribles
dégâts à la terre et à l'eau, indépendamment du CO2. Peut-être
devrions-nous passer du carbone - qui interdit les combustibles
fossiles mais permet toutes sortes d'autres dommages - à l'écocide,
qui interdit les deux et établit une nouvelle norme très différente
pour ce qui est considéré comme "vert".
Il est
temps de prendre position pour une transition plus profonde que celle
que peuvent englober les mesures du carbone. Quel type de changement
est nécessaire pour savoir que l'écocide est ce que ce mot implique
- le meurtre ?
Les causes
profondes du changement climatique sont identiques aux causes
profondes de la plupart des violences, des injustices et des dommages
écologiques sur Terre. Certains disent que cette cause est le
capitalisme, mais les anciens pays socialistes étaient tout aussi
rapaces que les pays capitalistes, sinon plus. Je propose que la cause
profonde de l'écocide soit l'histoire mondiale de la civilisation
moderne. Je l'appelle l'histoire de la séparation : l'histoire qui
me tient à l'écart de vous, l'humanité à l'écart de la nature,
l'esprit à l'écart de la matière, et l'âme à l'écart de la
chair ; Cette histoire, qui tient la pleine êtreté et la conscience d'être, le
domaine exclusif de l'être humain dont le destin est donc de
s'élever grâce à la domination des forces mécaniques de la nature pour
imposer l'intelligence à un monde qui n'en a pas. L'histoire de la
séparation incarne le capitalisme tel que nous le connaissons. Elle
est l'échafaudage de tous nos systèmes. Elle reflète la
psychologie qui s'est adaptée à ces systèmes. Chacun - histoire,
système et psychologie - perpétue les autres.
La première
exigence d'Extinction Rébellion est que le gouvernement dise la
vérité sur le changement climatique, mais connaît-il même la
vérité ? Qui est prêt à dire la vérité que la Terre est vivante
? Que la cause de la dégradation écologique réside dans les
histoires les plus profondes que la civilisation se raconte ? Qui est
prêt à dire la vérité sur ce que la crise nous demande - une
transformation totale, une initiation à un nouveau type de
civilisation ?
3.
La planète vivante
Une
initiation à la vie commence par une crise qui dissout ce que vous
saviez et ce que vous étiez. Des décombres de l'effondrement qui
s'ensuit, un nouveau moi naît dans un nouveau monde.
Les
sociétés peuvent également faire l'objet d'une initiation. C'est
ce que le changement climatique impose à la civilisation mondiale
actuelle. Ce n'est pas un simple "problème" que nous
pouvons résoudre à partir de la vision du monde actuellement
dominante et de son ensemble de solutions, mais il nous demande
d'habiter une nouvelle histoire du peuple et une nouvelle (et
ancienne) relation avec le reste de la vie.
Un élément
clé de cette transformation est le passage d'une vision du monde
géo-mécanique à une vision du monde d'une Planète vivante. La
crise climatique ne sera pas résolue en ajustant les niveaux de gaz
atmosphériques, comme si nous bricolions le mélange air-carburant
d'un moteur diesel. Au contraire, une Terre vivante ne peut être
saine - ne peut rester vivante en fait - que si ses organes et ses
tissus sont vivants. Ceux-ci comprennent les forêts, le sol, les
zones humides, les récifs coralliens, les poissons, les baleines,
les éléphants, les prairies sous-marines, les mangroves et tous les
autres systèmes et espèces terrestres. Si nous continuons à les
dégrader et à les détruire, alors, même si nous réduisons les
émissions à zéro du jour au lendemain, la Terre mourra encore d'un
million de déchirures.
La raison en est que c'est la vie qui maintient les conditions de la vie, à travers
des processus mal compris aussi complexes que toute physiologie
vivante. La végétation produit des composés volatils qui
favorisent la formation de nuages qui réfléchissent la lumière du
soleil. La mégafaune
transporte l'azote et le phosphore à travers les continents et les océans
pour maintenir le cycle du carbone. Les forêts génèrent une
pompe
biotique de basse pression persistante qui apporte la pluie à
l'intérieur des continents et maintient les flux atmosphériques.
Les
baleines font remonter des nutriments des profondeurs de l'océan pour
nourrir le plancton. Les loups contrôlent les populations de cerfs
afin que le sous-bois reste viable, ce qui améliore l'absorption des
précipitations et prévient les sécheresses et les incendies. Les
castors ralentissent la progression de l'eau de la terre vers la mer,
en tamponnant les inondations et en modulant le déversement de limon
dans les eaux côtières afin que la vie puisse y prospérer. Les
oiseaux migrateurs et les poissons tels que le
saumon
transportent les nutriments marins vers l'intérieur des terres, ce
qui permet de maintenir les forêts. Les tapis de mycélium relient de
vastes zones en un réseau neuronal dépassant le cerveau humain dans
sa complexité. Et tous ces processus s'imbriquent les uns aux
autres.
Dans mon
livre "
Le climat
- une nouvelle histoire", je fais valoir qu'une grande
partie du dérèglement climatique que nous attribuons aux gaz à
effet de serre provient en fait de la perturbation directe des
écosystèmes. Cela se produit depuis des millénaires : la
sécheresse et la désertification ont suivi partout où l'homme a détruit des forêts et exposé le sol à l'érosion. Ne serait-il pas tentant de rejeter la faute sur les émissions de gaz à effet de
serre et de continuer à reproduire notre culture matérielle en
utilisant des énergies renouvelables ?
Au moment
où nous écrivons ces lignes, l'Australie subit une chaleur, un
incendie et une sécheresse catastrophiques sans précédent.
L'Australie a également abattu des arbres au rythme de
5
000 kilomètres carrés par an. Encore une fois, ne serait-il pas
tentant de mettre tout cela sur le compte des émissions mondiales de
carbone ?
L'expression
"perturbation des écosystèmes" a un son scientifique par
rapport à "nuire et tuer des êtres vivants". Mais du
point de vue de la planète vivante, c'est cette dernière qui est la
plus précise. Une forêt n'est pas seulement une collection d'arbres
vivants - elle est elle-même vivante. Le sol n'est pas seulement un
milieu dans lequel la vie se développe ; le sol est vivant. Il en va
de même pour une rivière, un récif et une mer. Tout comme il est
beaucoup plus facile de dégrader, d'exploiter et de tuer une
personne lorsqu'on la considère comme moins qu'un être humain, il
est également plus facile de tuer les êtres de la Terre lorsque
nous les considérons comme non vivants et déjà inconscients. Les
coupes à blanc, les mines à ciel ouvert, les marécages asséchés,
les marées noires, etc. sont inévitables lorsque nous voyons la
Terre comme une chose morte, insensée, un amas de
ressources à exploiter.
Nos
histoires sont puissantes. Si nous voyons le monde comme mort, nous
le tuerons. Et si nous voyons le monde comme vivant, nous apprendrons
à être au service de sa guérison.
Le monde
est vivant. Il n'est pas seulement l'hôte de la vie. Les forêts,
les récifs et les zones humides sont ses organes. Les eaux sont son
sang. Le sol est sa peau. Les animaux sont ses cellules. Ce n'est pas
une analogie exacte, mais la conclusion à laquelle elle invite est
valable : si ces êtres perdent leur intégrité, la planète entière
va dépérir.
Je
n'essaierai pas de plaider intellectuellement en faveur de la vie sur
la planète Terre, ce qui dépendrait de la définition de la vie que
j'utilise. En outre, j'aimerais aller plus loin et dire que la Terre
est sensible, consciente et intelligente également - une affirmation
scientifiquement insupportable. Donc, au lieu d'essayer d'argumenter,
je vais demander au sceptique de se tenir pieds nus sur la Terre et
d'en sentir la vérité. Je crois que, aussi sceptique que vous
soyez, aussi ardemment que vous soyez d'avis que la vie n'est qu'un
accident chimique fortuit provoqué par des forces physiques
aveugles, une flamme de la connaissance brûle en chaque personne que
la terre, l'eau, le sol, l'air, le soleil, les nuages et le vent sont
vivants et conscients, nous sentant en même temps que nous les
ressentons.
Je connais
bien le sceptique, parce que je le suis moi-même. Un doute rampant s'empare
de moi lorsque je passe beaucoup de temps à l'intérieur, devant un
écran, entouré d'objets inorganiques standardisés qui reflètent
la moralité de la conception moderniste du monde.
L'exhortation
à se connecter pieds nus à la Terre vivante serait certainement
hors de propos lors d'une conférence universitaire sur le climat ou
d'une réunion du GIEC. Il arrive parfois que de tels événements
donnent lieu à une cérémonie délicate ou qu'un autochtone invoque
les quatre directions avant que tout le monde n'entre dans la salle
de conférence pour s'atteler à la tâche, celle des données et des
graphiques, des modèles et des projections, des coûts et des
bénéfices. Ce qui est réel, dans ce monde, ce sont les chiffres.
De tels environnements - d'abstractions quantitatives ainsi que d'air
conditionné, de lumière artificielle constante, de chaises
identiques et d'angles droits omniprésents - bannissent toute vie
sauf l'humain. La nature n'existe qu'en représentation, et la Terre
ne semble vivante qu'en théorie, voire probablement pas du tout.
"Ce
qui est réel, dans ce monde, ce sont les chiffres." Quelle
ironie, étant donné que les chiffres sont l'extrémité de
l'abstraction. Avec des problèmes définis par des nombres, l'esprit
"réaliste" cherche à les résoudre par les nombres aussi.
Mon geek intérieur mathématicien aimerait bien résoudre la crise
climatique en évaluant chaque politique possible en fonction de son
empreinte carbone nette. A chaque écosystème, à chaque technologie,
à chaque projet énergétique, j'attribuerais une valeur de gaz à effet de serre. Puis
je commanderais plus de celui-ci et moins de celui-là, en compensant
les déplacements en avion par la plantation d'arbres, en compensant
la destruction des zones humides ici par des panneaux solaires là,
pour respecter un certain budget de gaz à effet de serre.
J'appliquerais les méthodes et les mentalités qui se sont
développées autour de la comptabilité financière - l'argent étant
une autre façon de réduire le monde à des chiffres. (Le monde de
la finance est un autre endroit où les chiffres sont ce qui est
réel).
Malheureusement,
comme pour l'argent, le réductionnisme du carbone ignore tout ce qui
ne semble pas affecter le bilan. C'est ainsi que les questions
environnementales traditionnelles telles que la conservation de la
faune sauvage, le sauvetage des baleines ou le nettoyage des déchets
toxiques sont négligées dans le mouvement climatique. "Vert"
est devenu synonyme de "faible en émission carbone".
Pour la
planète vivante, c'est une énorme erreur, car les baleines, les
loups, les castors, les papillons, etc. qui sont ignorés font partie
des organes et des tissus qui maintiennent Gaia dans sa globalité et son unité. En compensant
les kilomètres parcourus en avion par la plantation d'arbres, en
nous approvisionnant en électricité grâce à des panneaux
solaires, et en revêtant ainsi le manteau de l'"écologie",
nous apaisons notre conscience tout en occultant les dommages permanents
que notre mode de vie actuel entraîne. Nous sous-entendons que la
"durabilité" signifie le maintien de la société telle
que nous la connaissons, mais avec des sources de combustibles non
fossiles. C'est pourquoi les pouvoirs établis ont si facilement
adopté le discours sur le climat que j'appelle le réductionnisme du
carbone. Même les entreprises de combustibles fossiles sont d'accord
avec cela, car cela signifie qu'elles peuvent poursuivre leurs
activités tant que nous mettons en œuvre la technologie de capture
du carbone et la géo-ingénierie.
La
véritable menace qui pèse sur la biosphère est en fait pire que ce
que la plupart des gens, même de gauche, comprennent ; elle inclut
et transcende de loin le climat, et nous ne pouvons y faire face que
par une réponse curative multidimensionnelle. La Terre est proche de
la mort par défaillance d'un organe. Nous vivons, selon les mots du
naturaliste J.B. MacKinnon, dans un "monde à dix pour cent",
la statistique poétique qu'il utilise pour décrire la décimation
de la vie sur Terre qui a commencé avec les premières civilisations
de masse et s'est accélérée avec l'ère industrielle jusqu'à nos
jours. Nous avons aujourd'hui peut-être 10 % des baleines qui
vivaient avant la chasse commerciale. Environ 10 % des grands
poissons prédateurs. La moitié des mangroves d'Asie. Vingt pour
cent des prairies sous-marines de l'Atlantique. Un pour cent des
forêts vierges d'Amérique du Nord, et la moitié du nombre d'arbres
dans le monde. Un déclin de 30 % des oiseaux au cours de ma vie, et
un déclin de 50 à 80 % des insectes. La liste est longue.
Ce serait
certainement bien de pouvoir mettre tout cela sur le compte d'une
seule cause, à savoir le changement climatique. Nous pourrions alors
opérer sur le terrain familier du réductionnisme. En principe, nous
saurions quoi faire. Lorsque la cause comprend une multitude de
facteurs - herbicides, insecticides, pollution sonore, pollution
électromagnétique, déchets toxiques, résidus pharmaceutiques,
aménagement du territoire, érosion des sols, surpêche, destruction
des forêts, épuisement des aquifères, élimination des prédateurs
de pointe et effets de serre, chacun interagissant en synergie avec
les autres - alors il n'y a pas de solution unique. Il est
inconfortable de ne pas savoir quoi faire. Il est tentant de s'évader
dans l'illusion d'une cause unique. Mais ne pas savoir est bien mieux
que de penser, à tort, que nous savons.
4.
Nouvelles priorités
Avec des
écosystèmes sains, des niveaux élevés de CO2, de méthane et de
température poseraient peu de problèmes. Après tout, les
températures étaient plus élevées qu'aujourd'hui au début de
l'Holocène ainsi qu'au cours de la période chaude minoenne, de la
période chaude romaine et de la période chaude médiévale, et il
n'y avait pas de boucle de rétroaction du méthane en fuite ou
quelque chose de ce genre. Un être vivant doté d'organes solides et
de tissus sains est résilient.
Malheureusement,
les organes de la Terre ont été endommagés et ses tissus ont été
empoisonnés. Elle est dans un état délicat. C'est pourquoi il est
important de réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Cependant, une vision de la planète vivante invite à un ordre de
priorités différent de celui que le discours conventionnel sur le
climat suggère. Nombre d'entre elles pourraient se traduire par des
demandes et des politiques concrètes que les gouvernements, les
entreprises et les particuliers pourraient adopter dès maintenant,
avec des effets locaux tangibles.
La première
priorité est de protéger toutes les forêts tropicales primaires
restantes et les autres écosystèmes non endommagés, comme les
prairies indigènes, les récifs coralliens, les mangroves, les
prairies sous-marines et autres zones humides. Tous les écosystèmes
vierges sont des trésors précieux. Ils sont des réservoirs de
biodiversité, des serres de régénération pour la vie. Ils
renferment l'intelligence profonde de la terre, sans laquelle une
guérison complète est impossible. C'est là que la mémoire de la
santé de Gaia reste intacte. Au moment où nous écrivons ces
lignes, la forêt tropicale amazonienne est soumise à des assauts
féroces, et la situation de la deuxième plus grande forêt
tropicale, le Congo, est encore pire. La troisième plus grande, la
Nouvelle-Guinée, est également gravement menacée par
l'exploitation forestière et les plantations de palmiers à huile.
Dans le récit du carbone, ces lieux sont déjà importants ; dans le
récit de la Terre vivante, ce sont des organes vitaux. Si le récit
du carbone sert à les protéger, alors très bien, mais nous ne
devons pas propager l'idée que leur valeur est réductible à leur
stockage de carbone.
La deuxième
priorité est de réparer et de régénérer les écosystèmes
endommagés dans le monde entier. Les moyens d'y parvenir sont
notamment les suivants :
L'expansion
massive des réserves marines pour la régénération des océans
Interdiction
du chalutage de fond, des filets dérivants et d'autres pratiques de
pêche industrielle
Les
pratiques agricoles régénératrices qui reconstituent les sols,
telles que les cultures de couverture, l'agriculture pérenne,
l'agroforesterie et le pâturage holistique
Boisement
et reboisement
Des
paysages de rétention d'eau pour réparer le cycle hydrologique
Réintroduction
et protection des espèces clés, des prédateurs de pointe et de la
mégafaune
Pour
effectuer une régénération efficace, nous ne pouvons pas nous
appuyer sur des formules évolutives. Chaque lieu est unique. Ce qui
fonctionne dans une vallée ou dans une ferme peut ne pas fonctionner
dans la suivante. Lorsque nous considérons les lieux et les
écologies de cette planète comme des êtres vivants et non comme
des ensembles de données, nous avons réalisé la nécessité d'une
connaissance intime des lieux. La science quantitative peut
contribuer au développement de ces connaissances, mais elle ne peut
se substituer à l'observation étroite et qualitative des
agriculteurs et des autres populations locales qui interagissent
quotidiennement avec la terre au fil des générations.
La
profondeur et la subtilité des connaissances des
chasseurs-cueilleurs et des paysans traditionnels sont difficiles à
appréhender pour l'esprit scientifique. Ces connaissances, codifiées
dans des histoires culturelles, des rituels et des coutumes,
intègrent leurs pratiques dans les organes de la terre et de la mer
afin qu'ils puissent participer à la résilience de la vie sur
Terre. Malheureusement, une grande partie de ce qui est appelé
"développement" - même le développement durable - mine
leur mode de vie et les englobe dans l'économie mondiale des
marchandises. Lorsque le développement signifie intégration dans
l'économie mondiale, la monnaie forte, pour rembourser les prêts au
développement et pour importer des biens de haute technologie, ne peut
venir que de l'exportation de ressources naturelles, via
l'exploitation forestière, l'extraction minière et l'agriculture industrielle. Ainsi, les deux premières priorités exigent que nous
re-concevions l'ensemble du paradigme du développement, ainsi que le
système financier qui lui est associé.
La
troisième priorité est de cesser d'empoisonner le monde avec des
pesticides, des herbicides, des insecticides, des plastiques, des
déchets toxiques, des métaux lourds, des antibiotiques, de la
pollution électromagnétique, des engrais chimiques, des résidus
pharmaceutiques, des déchets radioactifs et d'autres polluants
industriels. Ces substances affaiblissent la Terre au niveau des
tissus et pénètrent dans toute la biosphère au point que, par
exemple, on trouve maintenant des orques dont les niveaux de PCB sont
suffisamment élevés pour classer le corps de l'orque comme un
déchet toxique. Les insecticides néo-nicotinoïdes pénètrent dans
les systèmes terrestres, entraînant une chute des populations
d'insectes et, par conséquent, un déclin des oiseaux et du reste de
la chaîne alimentaire. Dans les océans, la base de la chaîne
alimentaire - le plancton - est attaquée parallèlement par le
ruissellement agricole, la pollution chimique, les études sismiques
et la décimation des prédateurs au sommet de la chaîne. Dans de
vastes zones agricoles, le sol est pratiquement mort, de la simple
terre, après des décennies d'utilisation d'engrais chimiques et de
pesticides. D'immenses étendues de terre sur différents continents
sont régulièrement pulvérisées avec des insecticides dans
l'espoir de contrôler les vecteurs de maladies ou les espèces
envahissantes. Le biote de la terre, l'ensemble des organismes vivants est constamment attaqué.
La
quatrième priorité est de réduire les niveaux atmosphériques de
gaz à effet de serre. Les changements brusques de la composition de
l'atmosphère exercent une pression accrue sur les systèmes de vie
mondiaux que le développement, l'extraction et la pollution ont déjà
dangereusement affaiblis. Les écosystèmes - en particulier les
forêts, les savanes et les zones humides - qui étaient autrefois
des modèles de flux ancrés sont gravement endommagés. Dans le même
temps, les gaz à effet de serre ont intensifié le flux
thermodynamique du système, perturbant encore plus les modèles
atmosphériques et endommageant encore plus les écosystèmes
affaiblis. Cependant, même sans une augmentation des gaz à effet de
serre, la destruction massive de la vie serait un désastre. Les
émissions de combustibles fossiles intensifient une situation déjà
mauvaise.
Si le
lecteur est troublé par le fait que j'attribue la réduction des gaz
à effet de serre à une quatrième priorité à peine plus élevée,
considérez que la réduction des émissions est un sous-produit
inévitable des trois autres priorités. D'une part, pour protéger
et réparer véritablement les écosystèmes, il faudrait un
moratoire sur les nouveaux oléoducs, les puits de pétrole offshore,
les gaz et pétroles de schiste, l'extraction des sables bitumineux, la destruction des
sommets montagneux, les mines à ciel ouvert et les autres formes d'extraction
de combustibles fossiles, car toutes ces activités entraînent de
graves dommages et risques écologiques. Pour aimer et prendre soin
de chaque partie précieuse de cette planète, nous devons
transformer l'infrastructure des combustibles fossiles,
indépendamment de la question des gaz à effet de serre.
De plus, le
reboisement et l'agriculture régénératrice peuvent séquestrer des
quantités massives de carbone. Les estimations varient
considérablement quant à la quantité de carbone que peuvent
séquestrer les pâturages holistiques et l'horticulture biologique
sans labour, mais les meilleurs praticiens tels qu'Allan Savory, Gabe
Brown et Ernst Gotsch atteignent jusqu'à 8-20 tonnes/Ha par an, tout
en égalant ou dépassant les producteurs conventionnels en termes de
productivité, la plupart du temps sans produits chimiques. Étant
donné que près de 5 milliards d'hectares de terres sont en pâturage
ou en culture dans le monde, le passage de 10 à 25 % seulement à
ces méthodes pourrait compenser 100 % des émissions mondiales
actuelles. Certes, tous les agriculteurs ou éleveurs n'égaleront
pas immédiatement le succès des innovateurs doués comme Savory,
Brown ou Gotsch, mais le potentiel est énorme. En outre, les
sceptiques du réchauffement climatique peuvent également soutenir
ces pratiques pour leurs effets bénéfiques sur la biodiversité,
les aquifères et le cycle de l'eau. Un sol sain absorbe les
précipitations comme une éponge, atténuant les inondations, puis,
par transpiration, les libère dans l'air au fil du temps,
prolongeant ainsi la saison des pluies et transportant la chaleur de
la surface vers l'atmosphère où elle rayonne davantage dans
l'espace. Ainsi, elle contribue au refroidissement et à la
résilience face au changement climatique.
Paradoxalement,
nous n'avons pas besoin de déployer l'argument de l'effet de serre
pour réduire les gaz à effet de serre. Les priorités énumérées
ci-dessus suggèrent une myriade d'objectifs concrets et réalisables
de protection et de régénération qui, additionnés, pourraient
dépasser ce que réclame le mouvement climatique, mais avec des
motivations différentes. Il existe cependant des points de départ
importants. L'approche Planète Vivante rejette les grands projets
hydroélectriques parce qu'ils détruisent les zones humides,
dégradent les rivières et modifient le flux de limon vers la mer.
Elle abhorre les plantations de biocarburants qui envahissent de
vastes régions d'Afrique, d'Asie et d'Amérique du Sud, car ces plantations remplacent souvent les écosystèmes naturels et l'agriculture
paysanne durable à petite échelle. L'approche Planète vivante redoute les projets de
géo-ingénierie tels que le blanchiment du ciel avec des aérosols
de soufre. Elle n'a guère besoin de machines géantes aspirant le
carbone (technologie de capture et de stockage du carbone). Elle
regarde avec horreur la consommation des forêts du monde entier pour
produire des copeaux de bois destinés à des centrales électriques
au charbon converties. Elle doute de la mise en place d'énormes éoliennes
qui tuent les oiseaux et des vastes réseaux photovoltaïques dans des
paysages dénudés.
Reconnaître
la Terre comme étant vivante est un pas vers sa sacralisation. C'est
un pas vers notre respect pour tous les êtres. N'est-ce pas - d'abord - ce que
le Mouvement Climat souhaite vraiment ?
5.
Dette et guerre
Le respect envers tous les êtres est le fondement d'une révolution
de l'amour. Sans respect, nous mélangeons les cartes sans
changer le jeu. La victime devient l'agresseur, l'agresseur devient
la victime, la haine détourne la colère, le châtiment détourne la
justice, la défaite engendre la vengeance, et la victoire engendre
de nouveaux ennemis.
Le respect anime les quatre priorités que j'ai exposées. Elles
ne se distinguent pas et ne peuvent pas se distinguer des autres
dimensions de la guérison mondiale. Toute question de justice
sociale, politique, économique, raciale ou sexuelle - toute
restauration de la pleine humanité de ceux qui en ont été
dépouillés - serait chez elle parmi elles, non pas en tant qu'ajout
politiquement correct, mais en tant que composantes structurelles
d'un même édifice. Aucun ne peut se passer des autres. Parmi
ceux-ci, cependant, il y en a deux que je voudrais promouvoir à un
statut spécial, car ils donnent le ton et le modèle de tous les
autres : la dette et la guerre.
Imaginez
que vous êtes un pays, disons l'Équateur. La communauté mondiale
vient vers vous sous la forme d'un homme brandissant un drapeau de la
Terre et vous dit : "Protégez vos forêts tropicales ! Protégez
vos rivières, vos zones humides et votre sol ! Le destin du monde en
dépend". Puis il pose le drapeau et sort un pistolet, le met
sur votre tête et ajoute : "Cependant, vous devez continuer à
payer vos dettes", sachant très bien que la seule façon d'y
parvenir est de liquider précisément ces forêts tropicales,
rivières, zones humides et sols. Refusez, et la punition est rapide.
Le marché obligataire international vous abandonne. Votre monnaie
s'effondre. Les sociétés transnationales et leurs alliés des États
nations vous changent de régime. Le nouveau gouvernement, célébré
comme "démocratique", instaure l'austérité, supprime les
obstacles au pillage écologique et est récompensé par de nouveaux
prêts au développement.
Rien de
tout cela n'est dû à la méchanceté des banquiers, des
bureaucrates d'État, des impérialistes militaires ou à la cabale
des illuminati et des extraterrestres reptiliens qui dirigent les affaires
mondiales en coulisses. Tout cela se produit pour répondre à une
nécessité systémique de croissance économique. Un système
monétaire basé sur une dette portant intérêt exige une croissance
sans fin pour fonctionner et génère une pression sans fin sur tous
ses participants pour qu'ils fassent quelque chose, n'importe quoi,
pour apporter plus de nature dans le domaine des produits et de la
propriété, et plus de relations dans le domaine des services.
Je
plaisantais (en quelque sorte) sur les extraterrestres reptiliens. Ce serait
sûrement bien d'identifier quelque chose, ou quelqu'un, que nous
pourrions combattre et dominer pour sauver le monde. Conquérir le
mal est la plus vieille solution du livre, une solution séduisante,
une fausse solution qui voile la complexité et atténue le malaise
de ne pas savoir à quoi s'en tenir. Mais si le mal était aux
commandes du monde, il lui suffirait d'installer un système
monétaire basé sur les intérêts, de s'asseoir et de regarder le
chaos s'ensuivre.
Mon livre
Sacred
Economics (L'économie Sacrée) est l'un des nombreux ouvrages qui décrivent ce
qui doit changer pour que l'économie rejoigne l'écologie. Une
économie post-croissance est possible, qui comprend le progrès en
termes autres que la croissance, et la richesse en termes autres que
la quantité. Pour l'instant, je me contenterai de mentionner un
premier pas dans cette direction, quelque chose que nous pourrions,
un jour prochain, exiger : l'annulation de la dette à grande
échelle. La dette est familière à tous les passagers du métro, et
elle est au cœur du fonctionnement de la machine de croissance qui
consomme le monde.
La machine
de croissance étend les relations de marché dans tous les coins de
la vie. Dans une relation de marché, chaque partie essaie d'obtenir
la meilleure affaire, tandis que les autres êtres deviennent des
instruments de son propre intérêt. La base relationnelle est donc
une base d'hostilité. La dette, en particulier, est une forme de "pouvoir-sur" ; comme le dit David Graeber, derrière l'homme au grand
livre se tient toujours un homme avec une arme.
La
séparation et la domination inhérentes aux relations économiques
fondées sur la dette prennent une forme extrême dans le phénomène
de la guerre. L'industrie de la guerre consomme de grandes quantités
d'argent, d'énergie et de matériel, mais la plus grande menace pour
l'avenir réside dans la fracture de la volonté humaine collective.
Le changement de cap vers la guérison du monde nécessitera de la
solidarité et une cohérence des objectifs. Si nos énergies
créatives et nos forces vitales sont épuisées à se battre les
unes contre les autres, que restera-t-il pour mettre en œuvre cette
puissante transition ? Notre navire a été saisi par un tourbillon.
Peut-être que si tout le monde tire sur les rames, nous pourrons y
échapper ; au lieu de cela, l'équipage se bat sur le pont alors que
le navire se dirige vers sa perte.
Tant que la
guerre sous toutes ses formes fera rage sur cette planète, aucune
des quatre priorités de la Planète Vivante ne se réalisera.
Lorsque la respect est la source de la révolution, alors le vrai
révolutionnaire est le travailleur de la paix. La pensée guerrière
génère un climat psychique inhospitalier au respect, car
elle déshumanise l'ennemi et exclut du cercle d'empathie tout être
qui se met en travers de l'effort de guerre. C'est ainsi que
l'économie moderne a objectivé la nature et exclu du cercle de
l'empathie tout être qui se met en travers du chemin du profit.
La
réflexion sur la guerre va bien au-delà du conflit militaire.
L'intense polarisation politique actuelle est une autre de ses
expressions. La division en camps opposés, la déshumanisation de
l'autre partie, l'association de la vertu morale à l'effort de
guerre, la croyance que la solution à nos problèmes passe par la
victoire - tout cela est la marque de la guerre. Si votre stratégie
politique consiste à enflammer l'opinion publique au sujet des
personnes inexcusables et répréhensibles de la politique, des
entreprises ou de la police, vous faites la guerre. Si vous croyez
que les gens de l'autre côté sont moins moraux, moins éthiques,
moins conscients ou moins spirituels que vous, vous êtes au bord de
la guerre. Alors oui, exposez les actions qui tuent le monde. Mais ne
les attribuez pas à la perfidie des acteurs, et n'imaginez pas que
virer les acteurs changera les rôles.
6.
Polarisation et déni
J'ai évoqué
plus tôt l'affirmation controversée selon laquelle la période
médiévale chaude était plus chaude que la période actuelle.
J'aimerais revenir sur ce point, non pas parce que je pense qu'il est
important de l'établir d'une manière ou une autre, mais parce qu'il
offre une fenêtre sur le problème plus profond de la polarisation,
mentionné plus haut, qui fige notre culture dans un modèle de
maintien sur toutes les questions pratiques importantes, et pas
seulement sur le changement climatique.
Les
reconstitutions graphiques en crosses de hockey semblent montrer qu'il fait
plus
chaud aujourd'hui que jamais au cours des dix mille dernières
années. D'autre part, les sceptiques attaquent les fondements
méthodologiques et statistiques de ces études, et apportent la
preuve de températures chaudes précoces, telles que l'
élévation
du niveau de la mer au début et au milieu de l'Holocène, et des
lignes
de démarcation des arbres à des centaines de kilomètres au
nord de l'endroit où elles se trouvent aujourd'hui.
Après
plusieurs années de recherche livresques, je suis convaincu que
je pourrais argumenter sur l'un ou sur l'autre côté de la question. Je
pourrais, à l'aide de nombreuses citations, affirmer que la période
de réchauffement médiéval (aujourd'hui appelée anomalie de
température médiévale) n'était
pas
vraiment si chaude après tout, et en tout cas principalement
concentrée dans l'Atlantique Nord et le bassin méditerranéen. Je
pourrais également affirmer, en citant à nouveau des dizaines
d'articles évalués par des pairs, que l'anomalie était importante
et
globale.
Il en va de même pour presque tous les aspects du débat sur le
climat - je peux argumenter suffisamment pour satisfaire les
partisans de l'une ou de l'autre partie.
Déjà, le
lecteur pourrait se demander si je ne suis pas en train d'insinuer
une équivalence entre les deux camps, dont l'un est constitué de
pseudo-scientifiques de droite sans scrupules financés par des
entreprises qui laissent leur cupidité passer avant la survie de
l'humanité, et l'autre de modestes scientifiques intègres soutenus
par des institutions auto-controllées par les pairs qui
veillent à ce que la position consensuelle de la science se
rapproche toujours plus de la vérité. Ou bien est-ce que l'une des
parties est constituée de braves dissidents qui risquent leur
carrière pour remettre en question l'orthodoxie régnante, et
l'autre de carriéristes qui pensent en groupe et qui n'aiment pas
prendre de risques, et qui sont tenus de respecter le programme mondialiste
des "écolos" et des enragés "verts" de gauche
?
Les
invectives polarisées des deux côtés suggèrent un haut degré d'investissement de l'ego dans leurs positions et me font douter que
l'une ou l'autre des parties accepterait des preuves qui contredisent
leur point de vue. Elles ne peuvent même pas s'entendre sur ce qui
constitue un fait. Chacun des nombreux camps, qui vont du
catastrophiste à l'alarmiste en passant par le sceptique, semble
occuper son propre espace de réalité. Soumettant toute information
contradictoire à un examen hostile, chacun accepte sans poser de
questions tout ce qui renforce sa propre position. Par conséquent,
quel que soit le camp qui se trompe, il est peu probable qu'il le
découvre un jour. Et cela, cher lecteur, inclut votre côté !
Face à
l'extrême polarisation de la société occidentale actuelle, j'ai
adopté une règle empirique qui s'applique aussi bien aux couples en
guerre qu'à la politique : le plus important est de se trouver en
dehors du combat lui-même, dans ce que les deux parties acceptent ou
refusent tacitement de voir. Prendre parti, c'est valider les termes
du débat, et garder cachées les questions cachées. Sur quoi les
deux parties s'accordent-elles inconsciemment ? Qu'est-ce qui est
considéré comme allant de soi ? Quelles sont les questions qui ne
sont pas posées ? La férocité du débat pourrait-elle occulter
quelque chose de plus important qui nécessite vraiment notre
attention ?
Un accord
tacite au niveau méta dans le débat sur le climat est la réduction
de la question de la santé de la planète à la question de savoir
si la planète se réchauffe à cause des gaz à effet de serre. En focalisant l'alarme de la détérioration écologique sur le
réchauffement de la planète, nous impliquons que si les sceptiques
ont raison, alors il n'y a pas lieu de s'alarmer. Dans le paradigme
de la Terre vivante, il y a lieu de s'alarmer, quel que soit le camp
qui a raison. Cependant, devant le récit du réchauffement incontrôlable,
le mouvement climatique doit à tout prix prouver que les sceptiques se trompent - même au point d'exclure les preuves de températures
chaudes historiques, à partir du moment où celles-ci ne correspondent pas au récit.
Le camp
alarmiste focalise dans le réchauffement une authentique alarme à
la détérioration anthropogénique de la biosphère, et à la
condition humaine qui la motive. Quelque chose est en effet
horriblement faux ; quelque chose qui concerne tout.
Malheureusement, le mouvement écologiste a largement accepté le
réchauffement climatique incontrôlable comme un substitut de l'injustice omniprésente qui est le véritable objet de sa dissidence.
Ce faisant, je crains qu'il n'ait cédé un terrain sacré et qu'il n'ait accepté
d'organiser la lutte sur un terrain difficile. Il a
substitué une vente difficile à une vente facile. Il a remplacé par un
récit de peur (les coûts du changement climatique) un récit
d'amour (sauver les précieuses forêts). Il a conditionné le soin
apporté à la terre à l'acceptation d'une théorie politiquement chargée
qui exige la confiance dans l'institution scientifique et dans les
systèmes d'autorité qui l'intègrent. Et ce, à un moment où la
confiance globale dans l'autorité est, à juste titre, en déclin.
Quant aux
sceptiques, je crains que l'insulte "négationniste" soit
dans bien des cas exacte. Qu'il y ait ou non des critiques valables à
formuler à l'égard de la science climatique de l'establishment, la
position sceptique fait généralement partie d'une identité
politique plus large qui, pour maintenir sa solvabilité, doit
écarter tout problème environnemental en même temps que le
réchauffement de la planète. S'en tenant à une position selon
laquelle tout va bien, les blogs climato-sceptiques insistent
généralement sur le fait que les déchets plastiques, les déchets
radioactifs, les polluants chimiques, la perte de biodiversité, la
pollution électromagnétique, les OGM, les pesticides, etc. ne sont
pas non plus un problème ; par conséquent, rien ne doit changer.
Craignant
le profond changement qui s'annonce, les sceptiques du climat ne sont
que les plus évidents négateurs. De manière perverse, le courant
dominant du réchauffement climatique perpétue également une sorte
de déni, en soutenant une vision de la durabilité accessible
simplement en changeant de source d'énergie. L'oxymore commun de
"croissance durable" illustre cette illusion, car la
croissance à notre époque implique la conversion de la nature en
ressource, en produit, en argent.
De manière
perverse, le récit dominant sur le réchauffement climatique
facilite le déni en focalisant l'alerte sur une théorie
scientifique qui peut être contestée et dont la preuve ultime ne pourra venir que
lorsqu'il sera trop tard. Avec des effets qui sont loin dans l'espace
et dans le temps, et qui sont également loin d'être causaux, il est
beaucoup plus facile de nier le changement climatique que de nier,
par exemple, que la chasse à la baleine tue les baleines, que la
déforestation assèche la terre, que le plastique tue la vie marine,
etc. De la même manière, les effets de la guérison écologique
basée sur le local sont plus faciles à voir que les effets
climatiques des panneaux photovoltaïques ou des éoliennes. La
distance causale est plus courte et les effets plus tangibles. Par
exemple, lorsque les agriculteurs pratiquent la régénération des
sols, la nappe phréatique commence à remonter, des sources qui
étaient sèches depuis des décennies reviennent à la vie, les
cours d'eau recommencent à couler toute l'année, et les oiseaux
chanteurs et la faune reviennent. On peut voir tout cela sans avoir
besoin de se fier aux déclarations des autorités scientifiques.
En outre,
si la sincérité et l'intelligence de la plupart des scientifiques
individuels ne font aucun doute, la science, en tant qu'institution,
est soumise à un préjugé de confirmation collective qui l'a
constamment égarée. En témoigne l'effondrement récent de deux
orthodoxies de longue date, presque universellement acceptées : (1)
que le cholestérol alimentaire et les graisses saturées provoquent
l'artériosclérose, et (2) que l'évolution se produit uniquement
par mutation aléatoire et sélection naturelle. (Ce dogme était
incontestable jusqu'à ce que le transfert horizontal de gènes,
l'épigénétique et l'auto-édition de gènes soient acceptés). La
méfiance du public envers l'autorité scientifique n'est peut-être
pas entièrement injustifiée, surtout lorsque la science, qui s'est
révélée défectueuse par la suite, a été si souvent invoquée
pour nous assurer de la sécurité des pesticides, des OGM, des antennes
de téléphonie cellulaire et de divers médicaments pharmaceutiques
toxiques. Cela ne veut pas dire que la science du climat est erronée
; c'est une mise en garde contre le fait de compter sur l'acceptation
du public, alors qu'une telle acceptation n'est pas nécessaire dans
le cadre du paradigme de la Terre vivante. Les élites attribuent
tacitement la résistance du public à la science à l'irrationalité
et à l'ignorance, en proposant des remèdes condescendants pour les
corriger. La leçon à retenir sur le changement climatique est-elle
"Nous aurions dû faire confiance aux scientifiques ? Nous aurions dû écouter le professeur ? Nous
aurions dû croire que ce que l'autorité nous disait était vrai ?"
De nombreux
membres de la gauche considèrent la science (en tant qu'institution)
comme le dernier bastion de la raison dans une culture par ailleurs
dégénérée, un rempart contre la montée de l'irrationalité. Et
si elle était tout aussi défectueuse que nos autres institutions ?
Si elle est détrônée en tant qu'arbitre final du bien et du mal,
comment nous reconnaîtrions-nous en tant que membres de l'Équipe du
bien et nous identifierions-nous comme les porteurs de lumière de la
raison dans une croisade contre une ignorance qui menace le monde
même ?
Ce n'est
pas un appel à l'abandon de la science, mais plutôt à un retour à
sa source sacrée : l'humilité. Libérée de son ossification
institutionnelle, la science renverserait probablement bon nombre des
dogmes établis que ses évangélistes proclament comme des vérités
inattaquables. Je ne suis pas le seul à avoir vécu des expériences
que la science qualifie d'absurdités impossibles, à avoir bénéficié
de modalités de guérison que la science qualifie de charlatanisme,
ou à avoir vécu dans des cultures où des phénomènes
scientifiquement inacceptables étaient monnaie courante. Cela ne
veut pas dire que le récit habituel du réchauffement climatique est
faux. Je n'en sais rien du tout. C'est juste que je ne sais pas non
plus si elle est juste. Ce que je pense, c'est qu'il est extrêmement
incomplet. C'est pourquoi j'ai tourné mon attention vers ce que je
sais, en commençant par les connaissances qui me viennent de mes
propres pieds nus.
Cette
connaissance est la connaissance que la Terre est vivante. Du point
de vue de la Terre vivante naissent des politiques et des actions qui
ont un sens quel que soit le côté du débat sur le climat.
7.
Extinction et finalité
La vision
de la planète vivante reconnaît un lien intime entre les affaires
humaines et écologiques. J'entends souvent les gens dire : "Le
changement climatique n'est pas une menace pour la Terre. La planète
se portera bien. Seuls les êtres humains pourraient s'éteindre".
Si nous comprenons l'humanité, cependant, comme la création
bien-aimée de Gaïa, née dans un but évolutif, alors nous ne
pourrions plus dire qu'elle se portera bien sans les humains comme
nous pourrions dire qu'une mère se portera bien si elle perd son
enfant. Je suis désolé, mais elle n'ira pas bien.
L'idée
susmentionnée d'un but évolutif, bien que contraire à la science
biologique moderne, découle naturellement d'une vision du monde et
du cosmos comme étant sensible, intelligent ou conscient. Elle ouvre
la question "Pourquoi sommes-nous ici ?" et même "Pourquoi
suis-je ici ?" Gaïa a fait pousser un nouvel organe. À quoi sert-il ?
Comment l'humanité pourrait-elle coopérer avec tous les autres
organes - les forêts, les eaux, les papillons et les phoques - au
service du rêve du monde ?
Je ne
connais pas les réponses à ces questions. Je sais seulement que
nous devons commencer à les poser. Nous devons - et non comme une
question de survie. Que ce soit en tant qu'individus ou en tant
qu'espèce, nous vivons pour quelque chose, et si nous le négligeons,
alors la vitalité, la vivacité, s'affaiblit. On ne nous donne pas
la vie simplement pour survivre.
On ne nous
donne pas la vie simplement pour survivre. Aucun organisme sur
Terre ne se contente de survivre. Chacun offre des cadeaux à
l'ensemble. C'est pourquoi un écosystème s'affaiblit lorsqu'on lui
enlève une espèce. Dans l'optique d'une concurrence pure, une
espèce devrait être en meilleure posture lorsque son concurrent
s'éteint, mais en fait elle est en pire posture. Là encore, la vie
crée les conditions nécessaires à la vie. Selon ce principe, les
humains sont là pour faire des cadeaux au reste de la vie aussi ;
nous sommes là pour servir la vie. En tant que civilisation, nous
avons longtemps fait le contraire. Rien de moins qu'une révolution
totale de l'amour, un grand tournant, sera donc nécessaire.
Par
conséquent, des mouvements comme Extinction
Rébellion ne peuvent pas, dans leur
racine, porter uniquement sur la survie de l'homme. Sa rhétorique parle de
points de basculement irréversibles, de boucles de rétroaction du
méthane, douze ans avant qu'il ne soit trop tard, mais je refuse de
croire que c'est de cela qu'il s'agit. Comme je l'ai écrit
précédemment, si les températures mondiales cessaient d'augmenter,
l'urgence de rébellion ne serait pas moindre.
Le scénario
suivant démontre clairement que l'objet de notre lutte n'est pas
réellement la survie de l'espèce humaine. Une possibilité plus terrible se
cache derrière la peur par procuration de l'extinction. Supposons
que nous soyons capables de continuer à transformer la Terre en un
gigantesque parking, une mine à ciel ouvert et une décharge.
Supposons que nous remplacions le sol par des fermes hydroponiques et
des cultures de cellules de viande en cuve. Supposons que nous
migrions entièrement notre vie dans des espaces intérieurs à
climat contrôlé. Supposons que nous développions des miroirs
spatiaux, des machines aspirant le carbone et des produits chimiques
blanchissant le ciel pour contrôler les températures mondiales.
Supposons que nous poursuivions le cours des dix mille dernières
années, au cours desquelles chaque génération laisse la planète
un peu moins vivante que la précédente. Et supposons que, comme au
cours des dix mille dernières années, l'humanité continue de
croître dans sa richesse mesurable. J'appelle ce scénario le monde
concret, dans lequel la nature est complètement morte, remplacée
par la technologie, et nous semblons à peine remarquer que nous nous
branchons sur le remplacement numérique artificiel de la nature.
Ici, l'extinction n'est pas celle de l'humanité, mais celle de tout
le reste. Je vous pose la question : est-ce un avenir acceptable ?
Le
mouvement pour le climat a fait de la survie de l'homme le principal
enjeu. C'est une erreur.
Voici trois raisons qui explique pourquoi :
(1) Il
renforce la valorisation de la nature pour son utilisation par les
hommes, ce qui est la même mentalité qui a longtemps facilité sa
spoliation.
(2) Que cela continue ou non à être vrai, l'expérience
nous a jusqu'à présent démontré que les humains survivront très
bien alors que le reste de la vie meurt - il y a de plus en plus d'humains et de moins en moins du reste du vivant.
(3) Il est malhonnête de faire
de la question de la survie de l'homme une question de survie, alors
que ce n'est pas vraiment ce qui nous motive. Supposons que la survie
humaine sur un monde mort soit garantie - pousserions-nous un soupir
de soulagement et rejoindrions-nous l'écocide ?
Extinction
Rébellion concerne (ou devrait
concerner) le type de monde dans lequel nous voulons vivre. Il s'agit
de savoir qui nous voulons être. Il s'agit de savoir pourquoi nous
sommes ici et ce que nous servons. Il s'agit de se tourner et de se
mettre au service de toute la vie.
Pourquoi
voudrions-nous servir la vie ? Contrairement à l'auto-préservation,
ce désir ne peut venir que de l'Amour.
Examinons
une autre dimension de l'extinction. J'ai posé ci-dessus un scénario
dans lequel la nature meurt tandis que l'humanité survit. Mais le
simple fait d'énoncer cela implique la séparabilité de l'humanité
et de la nature. En fait, nous sommes inséparables ; nous sommes
l'expression de la nature. Par conséquent, nous ne pouvons pas être
"juste bien" quand le reste de la vie est en train de
mourir. Ce n'est pas nécessairement que nous ne pouvons pas survivre
quand les autres meurent. C'est qu'avec chaque extinction, avec
chaque écosystème, chaque lieu et chaque espèce qui passe, quelque
chose de nous-mêmes meurt aussi. Avec l'affaiblissement de nos
relations, nous devenons moins entiers. Nous pourrions continuer à
progresser en termes de PIB, de kilomètres parcourus, d'années
vécues, de surface au sol et d'unités de climatisation par habitant, de niveau
d'éducation, de consommation totale, de téraoctets, de pétaoctets
et d'exaoctets, mais ces quantités sans cesse croissantes ne feront
que masquer et détourner une faim spirituelle dévorante pour toutes
les choses qu'elles ont déplacées : le lien et l'appartenance, un
chant d'oiseau familier qui est chaque fois un peu différent,
l'odeur du printemps, le gonflement des bourgeons, le goût d'une
framboise gorgée de soleil, les grands-pères qui racontent des
histoires sur un endroit que les enfants connaissent bien eux aussi.
Chaque pas dans une chambre d'isolement de notre propre fabrication
aiguise ainsi notre souffrance. Nous voyons déjà les symptômes de
l'extinction en nous, dans les taux croissants de dépression,
d'anxiété, de suicide, de dépendance, d'automutilation, de
violence domestique et d'autres formes de misère qu'aucune richesse
matérielle ne peut apaiser.
En d'autres
termes, l'épuisement de la vie sur terre s'accompagne d'un
épuisement de nos âmes. En détruisant les êtres, nous détruisons
notre propre être. N'étant plus enchevêtrés dans un réseau de
relations intimes et mutuelles, ne participant plus à la vie autour
de nous, entourés de choses contenues et mortes, nous devenons
nous-mêmes moins vivants. Nous devenons des zombies, nous demandant
pourquoi nous nous sentons si morts à l'intérieur. C'est la source
ultime des protestations. Nous aspirons à retrouver la vie. Nous
voulons renverser l'âge de la séparation.
Que
servons-nous ? Quelle vision de la beauté nous appelle ? C'est la
question que nous devons nous poser en passant par le portail
initiatique que nous appelons le changement climatique. En la posant,
nous convoquons une vision collective qui fonde une histoire commune,
un accord commun. Je ne pense pas que l'histoire sera le vieil avenir
des voitures volantes, des serviteurs robots et des villes bulles
surplombant un paysage aride et désertique. Ce sera un avenir où
les plages regorgeront à nouveau de coquillages, où nous verrons
des baleines par milliers, où des volées d'oiseaux s'étendront
d'horizon en horizon, où les rivières couleront propres et où la
vie sera revenue dans les lieux en ruines d'aujourd'hui.
Comment
parvenir à un tel avenir ? Je ne le sais pas, mais je peux dire ceci
: parce que la cause de la crise écologique est globale, la solution est aussi globale. Toute guérison fait partie de la guérison
de la Terre. Si nous devons émettre des demandes, ou peut-être
plutôt des invitations, élargissons-les pour inclure tous ceux qui
ont besoin de guérison, même et surtout ceux qui ne semblent pas
importants : les prisonniers, les démunis, les marginaux, les lieux
et les personnes négligés. L'humanité est aussi un organe de Gaia,
et la Terre ne sera jamais saine si la civilisation ne l'est pas. Le
climat social, le climat politique, le climat relationnel, le climat
psychique et le climat global sont inséparables. Une société qui
exploite les personnes les plus vulnérables exploitera
nécessairement les lieux les plus vulnérables aussi. Une société
qui fait la guerre à d'autres personnes, conditionnée à la
violence, fera sûrement la même chose sur la terre. Une société
qui déshumanise certains de ses membres dévalorisera toujours les
êtres non humains également. Et une société qui se consacre à la
guérison à un niveau, en viendra inévitablement à servir la
guérison à tous les niveaux.
Tout acte
de guérison, aussi petit soit-il, est une prière, une déclaration
sur la façon dont le monde doit être. Pouvons-nous nous connecter à
notre amour pour cette planète vivante et blessée, et canaliser cet
amour à travers nos mains et nos esprits, notre technologie et nos
arts, comme nous le demandons ? Comment participer au mieux à la
guérison et au rêve de la Terre ?