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jeudi 26 mars 2020

"Extinction et la Révolution de l'Amour" de Charles Eisenstein

[Traduction de Extinction et la Révolution de l'Amour une peu plus bas]

Une des personnes qui représente le mieux ce que je comprends d'une culture régénératrice est Charles Eisenstein, essayiste, conférencier et avocat de l'économie du don (https://en.wikipedia.org/wiki/Charles_Eisenstein)

Un petit cadeau pour ceux/celles qui voudraient en savoir plus sur sa pensée :
son dernier livre Climate - a new story, résumé et traduit ici :

Et si le monde dont nous rêvons était en chemin ?
https://medium.com/@al.romanet/et-si-le-monde-dont-nous-r%C3%AAvons-%C3%A9tait-en-chemin-cd54465c160e

Par ailleurs, mon amie Marianne Souliez traduit régulièrement des textes de Charles Eisenstein :
Construire un récit de paix :
https://mariannesouliez.com/2019/09/14/construire-un-recit-de-paix

Faire de chaque geste une cérémonie :
https://mariannesouliez.com/2019/05/27/faire-de-chaque-geste-une-ceremonie

Et si vous avez envie d'aller plus loin :
Sacred Economy / Économie sacrée de Charles Eisenstein.
La Monnaie, le Don et la Société dans l'Ère de la Transition
Le but de ce livre est de faire en sorte que l’argent et l’économie soient aussi sacrés que tout le reste de l’univers.

Introduction en français :
http://sacred-economics.com/economie-sacree-introduction/

Traduction libre et complète du livre par Alexandre Bessodes :
http://sacred-economics.com/wp-content/uploads/2012/01/SEFrench-Charles-Eisenstein-.pdf

Je vous propose cette traduction rapide d'un texte qui me semble majeur dans la période actuelle.


Source de cette traduction :
https://charleseisenstein.org/essays/extinction-and-the-revolution-of-love/

Extinction et la Révolution de l'Amour
Par Charles Eisenstein / Janvier 2020

1. Aucune demande n'est assez importante
Contrairement à l'idée qu'elle se fait d'elle-même, Extinction Rébellion ne concerne pas réellement le changement climatique. La question du climat est plutôt le vecteur de l'expression d'un désir plus profond. Greta Thunberg et les grévistes du climat incarnent le refus de se conformer à un système qui est contre la vie. "Je n'irai pas à l'école. Je ne participerai pas à cela. Je ne veux pas faire partie du programme."

L'urgence climatique donne forme à une aliénation intuitive et inarticulée du projet de civilisation tel qu'il se présente. Elle offre un point focal à identifier comme la source du mal. Elle canalise, sur un point spécifique, l'aspiration révolutionnaire à tout changer. Mais, si nous devions nous réveiller demain en apprenant que la science s'est trompée et que les températures mondiales se sont stabilisées, l'énergie motrice des manifestants persisterait. Parce qu'ils reconnaissent que le défi - auquel l'humanité est confrontée - n'est pas : "Comment maintenir le statu quo en utilisant des carburants neutres en carbone ?", alors il n'est pas acceptable de faire comme si de rien n'était, et changer de carburant ne résoudra rien.

Comme les radicaux contre la guerre des années 60, comme les manifestants anti-mondialisation des années 90, comme les participants d'Occupy Wall Street, ils n'aspirent pas à de petites réformes. Ils savent que les petites réformes ne vont pas assez en profondeur. Ils reconnaissent, consciemment ou non, que l'écocide est une caractéristique et non un bug du système socio-économique actuel. Ils savent que nous pouvons faire mieux qu'un monde de pauvreté, d'inégalité, de guerre, de violence domestique, de racisme et de destruction de l'environnement. Et ils savent que chacun de ces éléments en génère d'autres.

En d'autres termes, la question n'est pas de savoir si notre civilisation actuelle est soutenable.
Les questions sont :
Souhaitons-nous seulement la garder en l'état ?
Ne pouvons-nous pas faire mieux que cela ?

Lors de l'inauguration du camp d’Extinction Rebellion à Berlin en octobre dernier, j'ai tenté de deviner ce qu'était réellement ce mouvement. Ce que nous voulons vraiment, ai-je dit, c'est que l'humanité tienne à nouveau la nature pour sacrée. Ce que nous voulons, c'est passer d'une société de domination à une société de participation, de la conquête à la co-création, de l'extraction à la régénération, du mal à la guérison, et de la séparation à l'amour. Et nous souhaitons mettre en œuvre cette transition dans toutes nos relations : écologiques, économiques, politiques et personnelles. C'est pourquoi nous pouvons dire : "La révolution, c'est l'amour".

Un tel objectif ne se traduit pas facilement en exigences politiquement articulables. Toutes les demandes que je pourrais formuler sont soit trop petites, soit trop grandes. Si elle est politiquement concevable, la demande est trop petite. Si elle relève du pouvoir et de la volonté des autorités politiques existantes de la mettre en œuvre et si elle s'inscrit dans l'univers politique actuel, elle ne devrait pas nécessiter de changement fondamental. Au mieux, de telles demandes atténuent un symptôme ou suggèrent une direction que nous pourrions suivre, une destination à laquelle nous pourrions aspirer. Au pire, elles nous feraient jouer un air divertissant pour accompagner la marche vers la mort du monde.

Si, en revanche, nous formulons des exigences à la mesure de l'ampleur du changement que nous souhaitons voir se produire, alors nous nous demanderons : à qui ces exigences doivent-elles être adressées ? Imaginons-nous que l'économie industrielle mondiale et l'appareil politique qui l'entoure soient un train de marchandises et que nous puissions simplement demander à l'ingénieur de mettre les gaz ? Les élites politiques et corporatives sont aussi impuissantes que les autres, soumises à des forces qui échappent à leur contrôle et, pour la plupart, à leur compréhension. Ce que nous voulons vraiment - le monde plus beau que notre cœur sait possible et dont la possibilité non réalisée déclenchera une nouvelle rébellion à chaque génération - est au-delà du pouvoir que toute autorité puisse accorder. Cela ne signifie pas que c'est impossible, ni que nous sommes impuissants pour le faire advenir. Ce que cela signifie, c'est que le langage du plaidoyer peut ne pas être approprié.

Le système basé sur les combustibles fossiles a une énorme inertie. Il est présent dans toutes les facettes de la vie moderne, de la médecine à l'agriculture, en passant par les transports, la fabrication et le logement. Tout militant doit comprendre qu'une demande de sortie des combustibles fossiles est une demande de changement global, et que cette demande est impossible à satisfaire. Son objectif n'est pas impossible ; c'est bien au service d'un changement global que nous sommes là. Mais il ne peut pas être obtenu grâce à un simple plaidoyer, car personne n'a le pouvoir de le réaliser.

Même les demandes formulées par Extinction Rébellion sont impossibles à satisfaire pour le pouvoir actuellement constitué. Regardez ce qui se passe lorsque les gouvernements augmentent les taxes sur les carburants. Les émeutes et les protestations dans le monde entier, de la France à l'Équateur, du Zimbabwe à l'Indonésie, suivent les hausses des prix du carburant, et les gouvernements doivent soit capituler soit envoyer des troupes pour réprimer les troubles. (Ils font généralement les deux, car l'annulation des hausses de prix ne peut pas apaiser les troubles plus profonds qu'ils ont pu déclencher). Comme les combustibles fossiles font partie intégrante de la société mondialisée, s'en éloigner implique un bouleversement total de la société. Il ne s'agit pas seulement de remplacer les combustibles fossiles par le solaire, l'éolien et/ou la biomasse, en appliquant peut-être aussi des dispositifs de capture du carbone et des technologies de géo-ingénierie afin de réduire les émissions de carbone et permettre la poursuite des activités habituelles. Non. Le problème de l'intermittence, les exigences en matière d'utilisation des terres et les limites de l'approvisionnement en minéraux issus des terres rares rendent cela impossible. Mais même si nous pouvions continuer comme si de rien n'était, le souhaitons-nous vraiment ?

En faisant de toute chose une revendication, nous renforçons les relations de pouvoir politique existantes. Nous limitons les actions que nous pouvons réaliser en fonction des personnes au pouvoir, et aptes à nous donner leur accord. Nous conférons ainsi le pouvoir à celles et ceux que nous tenons pour puissant.e.s, et nous les érigeons inévitablement en ennemi.e.s lorsqu'ils/elles ne parviennent pas à mettre en œuvre notre ultimatum.

Une demande implique une menace : "Faites ce que je dis - ou sinon !" Faire une demande, soutenue par la menace de la force ou tout au moins par la menace de désagrément, que quelqu'un est incapable de satisfaire, c'est en faire un adversaire. Les mouvements qui agissent ainsi ont tendance à se réduire avec le temps, et non à se développer. Exclus du public qu'ils essaient de sauver et incapables d'obtenir des résultats tangibles, ils se réduisent à un cadre de martyrs bien-pensants. Nous avons vu le même schéma se reproduire encore et encore. Inévitablement, la police confirme cette attitude moralisatrice en commettant des actes de brutalité dans le cadre du maintien de l'ordre. Le débat porte sur la question de savoir si la violence policière est justifiée, si les mesures violentes sont justifiées à leur tour et enfin sur qui sont les bons et qui sont les méchants. Ce sont les manifestations elles-mêmes qui sont alors au centre du débat, et non pas le sujet des manifestations. Les manifestants tentent de tirer parti de chaque incident de violence policière pour faire pencher l'opinion publique de leur côté - nous devons être les gentils, car regardez comme le gouvernement est mauvais. Il s'ensuit une guerre médiatique, une lutte pour contrôler le récit. Au sein de leurs bulles médiatiques distinctes et des chambres d'écho des médias sociaux, chaque camp devient de plus en plus convaincu de sa vertu et de la turpitude de l'autre. De cette façon, les deux camps mettent en scène le drame archétypique que nous appelons la guerre, en adoptant l'hypothèse séculaire selon laquelle la clé de la résolution de tout problème est de surmonter un ennemi. Le progrès se gagne par un combat, une lutte pour la domination. Ne voyons-nous pas que la même mentalité de domination sous-tend l'écocide de la civilisation ? Un autre type de révolution s'impose.

Il y a un certain réconfort à établir un ensemble d'ennemis comme la clé de la résolution d'une crise. Nous remplaçons un objectif que nous ne savons pas comment atteindre (tout changer) par un objectif que nous savons obtenir (renverser un dirigeant, renverser un gouvernement, prendre le pouvoir politique). De cette façon, l'illusion du pouvoir détourne notre énergie révolutionnaire vers un objectif moindre. Si l'ingénieur ne veut pas mettre les gaz, alors pourquoi ne le jetterions pas hors du train pour mettre nous-mêmes les gaz. Probablement, comme la plupart des révolutionnaires, nous ne parviendrons pas du tout à prendre le contrôle. Dans le cas peu probable où nous réussirions et où nous nous retrouverions dans la salle des machines, nous découvririons que nous sommes tout aussi incapables de mettre les gaz que l'était son occupant précédent.

Rien de tout cela ne signifie que nous devrions abandonner et rentrer chez nous. Faisons confiance à l'espoir. L'espoir authentique n'est pas une distraction de la réalité, c'est la prémonition d'une possibilité. Pour l'atteindre, nous devons sortir du cercle vicieux conventionnel problème-solution, dans lequel chaque solution génère le même problème sous une autre forme. Le diagnostic conventionnel du problème du changement climatique fait lui-même partie du problème, et il en va de même pour les solutions qui en découlent. En sortant de ce cercle vicieux, nous pouvons arriver à des demandes différentes et, plus important encore, à des moyens de faire face à la crise qui échappent à la mentalité d'exiger.

2. Exclusion et réduction du carbone

L'incapacité de nos dirigeants à apporter des changements significatifs reflète l'incapacité du public. J'ai entendu l'histoire de quelques manifestants londoniens qui ont réussi à arrêter une rame de métro. Sans doute pensaient-ils que les désagréments subis par les passagers n'étaient rien comparés à côté de sauver la race humaine de l'extinction. Il faut agir de façon dramatique ! Peut-être un boycott général de tous les transports de combustibles fossiles. Les passagers n'étaient pas d'accord. L'un d'eux a dit : "Peut-être que je suis en route pour l'hôpital - y avez-vous pensé ?" Beaucoup sont issus de la classe ouvrière et font la navette pour des emplois dont leur famille dépend. Dans une mesure plus ou moins grande, la vie de la plupart des gens est également liée à cette machine de destruction du monde. Faire appel à la vertu personnelle pour persuader les gens de consommer moins, de brûler moins, de rouler moins, est inutile lorsqu'ils vivent dans un système qui les oblige à consommer, brûler et rouler, juste pour survivre.

Les tactiques de perturbation aliènent les personnes qui en souffrent, en leur affirmant "Nous sommes prêts à vous sacrifier à la Cause. Nous sommes là pour vous sauver - que cela vous plaise ou non !" Ce faisant, les manifestants créent dans leurs relations publiques la même dynamique d'affrontement entre nous et eux que celle qui caractérise leurs relations avec les autorités.

Pouvez-vous penser à d'autres contextes où certains doivent être sacrifiés, contre leur gré, pour le plus grand bien ? Où certains êtres sont simplement sur le chemin du progrès ? Où la liberté d'une personne est bafouée sans son consentement ? Cela ne veut pas dire qu'il faut obtenir le consentement de toutes les personnes concernées avant de lancer une action de protestation. Il s'agit simplement de les prendre en compte. S'arrêter un instant pour voir le monde à travers leurs yeux, et comprendre leur expérience de vie. C'est faire preuve d'empathie. L'empathie n'est pas disponible lorsque le brouillard du jugement obscurcit le cœur.

La méfiance du public à l'égard des militants est encore renforcée par l'attitude moralisatrice qui est codifiée dans les appels à la vertu personnelle. Si nous nous considérons comme vertueux pour notre militantisme et nos modes de vie à faible émission de carbone, et si nous nous accordons à nous féliciter et à faire partie des rangs de la morale, nous jetons ainsi les autres dans les rangs des immoraux, des ignorants, des mauvais. Plus nous nous aspergeons du parfum de la vertu, plus nous dégageons la puanteur de la moralité. Nous serions plus efficaces si, au lieu de nous tenir à l'écart dans un jugement impitoyable, nous cherchions à comprendre profondément la totalité des circonstances de ceux que nous jugeons. C'est ce qu'on appelle l'inclusivité. C'est la porte d'entrée vers une révolution de l'amour.

Une grande partie du caractère clivant et excluant provoquée par le mouvement environnemental découle de la réduction du "vert" à une fonction de comptabilité du carbone - une dangereuse simplification qui laisse de côté les êtres, y compris les êtres humains, qui semblent ne pas "compter". Quelle est la contribution des baleines en matière de carbone ? Des tortues de mer ? Des usagers du métro ? Des sans-abri ? Des prisonniers ? Des rossignols ? Des hiboux ? Des loups ? Quand apprendrons-nous que les êtres que nous excluons finissent par être les plus importants de tous ? Quand apprendrons-nous que nous sommes tous dans le même bateau ? Ce n'est pas le genre de révolution où nous sacrifions certains êtres pour "la cause" du sauvetage du monde, c'est une révolution où nous reconnaissons que la guérison viendra en valorisant les dévalorisés. Après tout, qu'est-ce qui a été exclu et dévalorisé plus que la nature elle-même ? Valoriser les êtres de la nature en termes de carbone, une quantité mesurable soumise aux habituelles analyses coûts-bénéfices, n'est pas une très grande différence par rapport à la valorisation de ses êtres en termes d'argent. Tout et tous ceux qui ne sont pas pris en compte dans cette évaluation reviendront nous hanter, car la vérité est que tous sont importants pour maintenir les conditions d'une vie prospère.

Qu'est-ce qui est dévalué quand on compte le carbone ? Qu'est-ce qui n'est pas compté ? Les écosystèmes, par exemple. Pour développer les technologies "d'énergie verte" telles que les panneaux solaires, les batteries, les éoliennes et les véhicules électriques, il faudrait une grande augmentation de l'exploitation minière. Le lecteur comprend-il à quoi ressemble une grande exploitation minière ? Ce n'est pas un trou inoffensif dans le sol. Voici une description de la mine d'argent de Peñasquito au Mexique :
S'étendant sur près de 100 kilomètres carrés, l'opération est d'une ampleur stupéfiante : un vaste complexe de mines à ciel ouvert creusé dans les montagnes, flanqué de deux décharges de déchets d'un kilomètre chacune, et une digue de résidus pleine de boues toxiques retenue par un mur de 15 kilomètres de circonférence et aussi haut qu'un gratte-ciel de 50 étages. Cette mine produira 11 000 tonnes d'argent en 10 ans avant que ses réserves, les plus importantes du monde, ne disparaissent.
Pour faire passer l'économie mondiale aux énergies renouvelables, nous devons mettre en service jusqu'à 130 mines supplémentaires à l'échelle du Peñasquito. Juste pour l'argent.
Des mines similaires sont nécessaires pour répondre à la demande croissante d'énergie renouvelable en cuivre, néodyme, lithium, cobalt et autres minéraux. Chacune d'entre elles avale les forêts et les autres écosystèmes, empoisonne les nappes phréatiques et génère de grandes quantités de déchets toxiques. Chacune génère une misère sociale indicible qui accompagne la misère écologique, et une géopolitique tout comme celle de l'extraction du pétrole. Il suffit de voir le coup d'État blanchi en Bolivie, qui possède d'énormes réserves de lithium que le président évincé, Evo Morales, avait prévu de nationaliser.

Les autres principales technologies d'énergie renouvelable - l'hydroélectricité et la biomasse - sont, lorsqu'elles sont produites à l'échelle industrielle, peut-être même plus horribles sur le plan écologique que l'exploitation minière, ce qui entraîne la dislocation des populations et la destruction des écosystèmes. Cela ne peut pas être ce que nous, environnementalistes, avons à l'esprit : convertir le biote (l'ensemble des organismes vivants) de la Terre en carburant et ses rivières en centrales électriques.

Ceux qui se soucient de cette terre, je vous en prie : faites attention à ce que vous demandez. Faites attention aux mauvaises demandes - les demandes trop petites qui ne changent rien en réalité et qui pourraient causer plus de mal que de bien. Méfiez-vous des solutions que votre pression et votre urgence vous invitent à adopter. Certaines d'entre elles peuvent être des solutions qui exacerbent le problème, des solutions qui sont acceptables pour le pouvoir établi parce qu'elles ne menacent pas ses fondements.

Il est certain que l'extraction des combustibles fossiles cause d'horribles dégâts à la terre et à l'eau, indépendamment du CO2. Peut-être devrions-nous passer du carbone - qui interdit les combustibles fossiles mais permet toutes sortes d'autres dommages - à l'écocide, qui interdit les deux et établit une nouvelle norme très différente pour ce qui est considéré comme "vert".

Il est temps de prendre position pour une transition plus profonde que celle que peuvent englober les mesures du carbone. Quel type de changement est nécessaire pour savoir que l'écocide est ce que ce mot implique - le meurtre ?

Les causes profondes du changement climatique sont identiques aux causes profondes de la plupart des violences, des injustices et des dommages écologiques sur Terre. Certains disent que cette cause est le capitalisme, mais les anciens pays socialistes étaient tout aussi rapaces que les pays capitalistes, sinon plus. Je propose que la cause profonde de l'écocide soit l'histoire mondiale de la civilisation moderne. Je l'appelle l'histoire de la séparation : l'histoire qui me tient à l'écart de vous, l'humanité à l'écart de la nature, l'esprit à l'écart de la matière, et l'âme à l'écart de la chair ; Cette histoire, qui tient la pleine êtreté et la conscience d'être, le domaine exclusif de l'être humain dont le destin est donc de s'élever grâce à la domination des forces mécaniques de la nature pour imposer l'intelligence à un monde qui n'en a pas. L'histoire de la séparation incarne le capitalisme tel que nous le connaissons. Elle est l'échafaudage de tous nos systèmes. Elle reflète la psychologie qui s'est adaptée à ces systèmes. Chacun - histoire, système et psychologie - perpétue les autres.

La première exigence d'Extinction Rébellion est que le gouvernement dise la vérité sur le changement climatique, mais connaît-il même la vérité ? Qui est prêt à dire la vérité que la Terre est vivante ? Que la cause de la dégradation écologique réside dans les histoires les plus profondes que la civilisation se raconte ? Qui est prêt à dire la vérité sur ce que la crise nous demande - une transformation totale, une initiation à un nouveau type de civilisation ?

3. La planète vivante

Une initiation à la vie commence par une crise qui dissout ce que vous saviez et ce que vous étiez. Des décombres de l'effondrement qui s'ensuit, un nouveau moi naît dans un nouveau monde.

Les sociétés peuvent également faire l'objet d'une initiation. C'est ce que le changement climatique impose à la civilisation mondiale actuelle. Ce n'est pas un simple "problème" que nous pouvons résoudre à partir de la vision du monde actuellement dominante et de son ensemble de solutions, mais il nous demande d'habiter une nouvelle histoire du peuple et une nouvelle (et ancienne) relation avec le reste de la vie.

Un élément clé de cette transformation est le passage d'une vision du monde géo-mécanique à une vision du monde d'une Planète vivante. La crise climatique ne sera pas résolue en ajustant les niveaux de gaz atmosphériques, comme si nous bricolions le mélange air-carburant d'un moteur diesel. Au contraire, une Terre vivante ne peut être saine - ne peut rester vivante en fait - que si ses organes et ses tissus sont vivants. Ceux-ci comprennent les forêts, le sol, les zones humides, les récifs coralliens, les poissons, les baleines, les éléphants, les prairies sous-marines, les mangroves et tous les autres systèmes et espèces terrestres. Si nous continuons à les dégrader et à les détruire, alors, même si nous réduisons les émissions à zéro du jour au lendemain, la Terre mourra encore d'un million de déchirures.

La raison en est que c'est la vie qui maintient les conditions de la vie, à travers des processus mal compris aussi complexes que toute physiologie vivante. La végétation produit des composés volatils qui favorisent la formation de nuages qui réfléchissent la lumière du soleil. La mégafaune transporte l'azote et le phosphore à travers les continents et les océans pour maintenir le cycle du carbone. Les forêts génèrent une pompe biotique de basse pression persistante qui apporte la pluie à l'intérieur des continents et maintient les flux atmosphériques. Les baleines font remonter des nutriments des profondeurs de l'océan pour nourrir le plancton. Les loups contrôlent les populations de cerfs afin que le sous-bois reste viable, ce qui améliore l'absorption des précipitations et prévient les sécheresses et les incendies. Les castors ralentissent la progression de l'eau de la terre vers la mer, en tamponnant les inondations et en modulant le déversement de limon dans les eaux côtières afin que la vie puisse y prospérer. Les oiseaux migrateurs et les poissons tels que le saumon transportent les nutriments marins vers l'intérieur des terres, ce qui permet de maintenir les forêts. Les tapis de mycélium relient de vastes zones en un réseau neuronal dépassant le cerveau humain dans sa complexité. Et tous ces processus s'imbriquent les uns aux autres.

Dans mon livre "Le climat - une nouvelle histoire", je fais valoir qu'une grande partie du dérèglement climatique que nous attribuons aux gaz à effet de serre provient en fait de la perturbation directe des écosystèmes. Cela se produit depuis des millénaires : la sécheresse et la désertification ont suivi partout où l'homme a détruit des forêts et exposé le sol à l'érosion. Ne serait-il pas tentant de rejeter la faute sur les émissions de gaz à effet de serre et de continuer à reproduire notre culture matérielle en utilisant des énergies renouvelables ?

Au moment où nous écrivons ces lignes, l'Australie subit une chaleur, un incendie et une sécheresse catastrophiques sans précédent. L'Australie a également abattu des arbres au rythme de 5 000 kilomètres carrés par an. Encore une fois, ne serait-il pas tentant de mettre tout cela sur le compte des émissions mondiales de carbone ?

L'expression "perturbation des écosystèmes" a un son scientifique par rapport à "nuire et tuer des êtres vivants". Mais du point de vue de la planète vivante, c'est cette dernière qui est la plus précise. Une forêt n'est pas seulement une collection d'arbres vivants - elle est elle-même vivante. Le sol n'est pas seulement un milieu dans lequel la vie se développe ; le sol est vivant. Il en va de même pour une rivière, un récif et une mer. Tout comme il est beaucoup plus facile de dégrader, d'exploiter et de tuer une personne lorsqu'on la considère comme moins qu'un être humain, il est également plus facile de tuer les êtres de la Terre lorsque nous les considérons comme non vivants et déjà inconscients. Les coupes à blanc, les mines à ciel ouvert, les marécages asséchés, les marées noires, etc. sont inévitables lorsque nous voyons la Terre comme une chose morte, insensée, un amas de ressources à exploiter.

Nos histoires sont puissantes. Si nous voyons le monde comme mort, nous le tuerons. Et si nous voyons le monde comme vivant, nous apprendrons à être au service de sa guérison.

Le monde est vivant. Il n'est pas seulement l'hôte de la vie. Les forêts, les récifs et les zones humides sont ses organes. Les eaux sont son sang. Le sol est sa peau. Les animaux sont ses cellules. Ce n'est pas une analogie exacte, mais la conclusion à laquelle elle invite est valable : si ces êtres perdent leur intégrité, la planète entière va dépérir.

Je n'essaierai pas de plaider intellectuellement en faveur de la vie sur la planète Terre, ce qui dépendrait de la définition de la vie que j'utilise. En outre, j'aimerais aller plus loin et dire que la Terre est sensible, consciente et intelligente également - une affirmation scientifiquement insupportable. Donc, au lieu d'essayer d'argumenter, je vais demander au sceptique de se tenir pieds nus sur la Terre et d'en sentir la vérité. Je crois que, aussi sceptique que vous soyez, aussi ardemment que vous soyez d'avis que la vie n'est qu'un accident chimique fortuit provoqué par des forces physiques aveugles, une flamme de la connaissance brûle en chaque personne que la terre, l'eau, le sol, l'air, le soleil, les nuages et le vent sont vivants et conscients, nous sentant en même temps que nous les ressentons.

Je connais bien le sceptique, parce que je le suis moi-même. Un doute rampant s'empare de moi lorsque je passe beaucoup de temps à l'intérieur, devant un écran, entouré d'objets inorganiques standardisés qui reflètent la moralité de la conception moderniste du monde.

L'exhortation à se connecter pieds nus à la Terre vivante serait certainement hors de propos lors d'une conférence universitaire sur le climat ou d'une réunion du GIEC. Il arrive parfois que de tels événements donnent lieu à une cérémonie délicate ou qu'un autochtone invoque les quatre directions avant que tout le monde n'entre dans la salle de conférence pour s'atteler à la tâche, celle des données et des graphiques, des modèles et des projections, des coûts et des bénéfices. Ce qui est réel, dans ce monde, ce sont les chiffres. De tels environnements - d'abstractions quantitatives ainsi que d'air conditionné, de lumière artificielle constante, de chaises identiques et d'angles droits omniprésents - bannissent toute vie sauf l'humain. La nature n'existe qu'en représentation, et la Terre ne semble vivante qu'en théorie, voire probablement pas du tout.

"Ce qui est réel, dans ce monde, ce sont les chiffres." Quelle ironie, étant donné que les chiffres sont l'extrémité de l'abstraction. Avec des problèmes définis par des nombres, l'esprit "réaliste" cherche à les résoudre par les nombres aussi. Mon geek intérieur mathématicien aimerait bien résoudre la crise climatique en évaluant chaque politique possible en fonction de son empreinte carbone nette. A chaque écosystème, à chaque technologie, à chaque projet énergétique, j'attribuerais une valeur de gaz à effet de serre. Puis je commanderais plus de celui-ci et moins de celui-là, en compensant les déplacements en avion par la plantation d'arbres, en compensant la destruction des zones humides ici par des panneaux solaires là, pour respecter un certain budget de gaz à effet de serre. J'appliquerais les méthodes et les mentalités qui se sont développées autour de la comptabilité financière - l'argent étant une autre façon de réduire le monde à des chiffres. (Le monde de la finance est un autre endroit où les chiffres sont ce qui est réel).

Malheureusement, comme pour l'argent, le réductionnisme du carbone ignore tout ce qui ne semble pas affecter le bilan. C'est ainsi que les questions environnementales traditionnelles telles que la conservation de la faune sauvage, le sauvetage des baleines ou le nettoyage des déchets toxiques sont négligées dans le mouvement climatique. "Vert" est devenu synonyme de "faible en émission carbone".

Pour la planète vivante, c'est une énorme erreur, car les baleines, les loups, les castors, les papillons, etc. qui sont ignorés font partie des organes et des tissus qui maintiennent Gaia dans sa globalité et son unité. En compensant les kilomètres parcourus en avion par la plantation d'arbres, en nous approvisionnant en électricité grâce à des panneaux solaires, et en revêtant ainsi le manteau de l'"écologie", nous apaisons notre conscience tout en occultant les dommages permanents que notre mode de vie actuel entraîne. Nous sous-entendons que la "durabilité" signifie le maintien de la société telle que nous la connaissons, mais avec des sources de combustibles non fossiles. C'est pourquoi les pouvoirs établis ont si facilement adopté le discours sur le climat que j'appelle le réductionnisme du carbone. Même les entreprises de combustibles fossiles sont d'accord avec cela, car cela signifie qu'elles peuvent poursuivre leurs activités tant que nous mettons en œuvre la technologie de capture du carbone et la géo-ingénierie.

La véritable menace qui pèse sur la biosphère est en fait pire que ce que la plupart des gens, même de gauche, comprennent ; elle inclut et transcende de loin le climat, et nous ne pouvons y faire face que par une réponse curative multidimensionnelle. La Terre est proche de la mort par défaillance d'un organe. Nous vivons, selon les mots du naturaliste J.B. MacKinnon, dans un "monde à dix pour cent", la statistique poétique qu'il utilise pour décrire la décimation de la vie sur Terre qui a commencé avec les premières civilisations de masse et s'est accélérée avec l'ère industrielle jusqu'à nos jours. Nous avons aujourd'hui peut-être 10 % des baleines qui vivaient avant la chasse commerciale. Environ 10 % des grands poissons prédateurs. La moitié des mangroves d'Asie. Vingt pour cent des prairies sous-marines de l'Atlantique. Un pour cent des forêts vierges d'Amérique du Nord, et la moitié du nombre d'arbres dans le monde. Un déclin de 30 % des oiseaux au cours de ma vie, et un déclin de 50 à 80 % des insectes. La liste est longue.

Ce serait certainement bien de pouvoir mettre tout cela sur le compte d'une seule cause, à savoir le changement climatique. Nous pourrions alors opérer sur le terrain familier du réductionnisme. En principe, nous saurions quoi faire. Lorsque la cause comprend une multitude de facteurs - herbicides, insecticides, pollution sonore, pollution électromagnétique, déchets toxiques, résidus pharmaceutiques, aménagement du territoire, érosion des sols, surpêche, destruction des forêts, épuisement des aquifères, élimination des prédateurs de pointe et effets de serre, chacun interagissant en synergie avec les autres - alors il n'y a pas de solution unique. Il est inconfortable de ne pas savoir quoi faire. Il est tentant de s'évader dans l'illusion d'une cause unique. Mais ne pas savoir est bien mieux que de penser, à tort, que nous savons.

4. Nouvelles priorités

Avec des écosystèmes sains, des niveaux élevés de CO2, de méthane et de température poseraient peu de problèmes. Après tout, les températures étaient plus élevées qu'aujourd'hui au début de l'Holocène ainsi qu'au cours de la période chaude minoenne, de la période chaude romaine et de la période chaude médiévale, et il n'y avait pas de boucle de rétroaction du méthane en fuite ou quelque chose de ce genre. Un être vivant doté d'organes solides et de tissus sains est résilient.

Malheureusement, les organes de la Terre ont été endommagés et ses tissus ont été empoisonnés. Elle est dans un état délicat. C'est pourquoi il est important de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Cependant, une vision de la planète vivante invite à un ordre de priorités différent de celui que le discours conventionnel sur le climat suggère. Nombre d'entre elles pourraient se traduire par des demandes et des politiques concrètes que les gouvernements, les entreprises et les particuliers pourraient adopter dès maintenant, avec des effets locaux tangibles.

La première priorité est de protéger toutes les forêts tropicales primaires restantes et les autres écosystèmes non endommagés, comme les prairies indigènes, les récifs coralliens, les mangroves, les prairies sous-marines et autres zones humides. Tous les écosystèmes vierges sont des trésors précieux. Ils sont des réservoirs de biodiversité, des serres de régénération pour la vie. Ils renferment l'intelligence profonde de la terre, sans laquelle une guérison complète est impossible. C'est là que la mémoire de la santé de Gaia reste intacte. Au moment où nous écrivons ces lignes, la forêt tropicale amazonienne est soumise à des assauts féroces, et la situation de la deuxième plus grande forêt tropicale, le Congo, est encore pire. La troisième plus grande, la Nouvelle-Guinée, est également gravement menacée par l'exploitation forestière et les plantations de palmiers à huile. Dans le récit du carbone, ces lieux sont déjà importants ; dans le récit de la Terre vivante, ce sont des organes vitaux. Si le récit du carbone sert à les protéger, alors très bien, mais nous ne devons pas propager l'idée que leur valeur est réductible à leur stockage de carbone.

La deuxième priorité est de réparer et de régénérer les écosystèmes endommagés dans le monde entier. Les moyens d'y parvenir sont notamment les suivants :
  • L'expansion massive des réserves marines pour la régénération des océans
  • Interdiction du chalutage de fond, des filets dérivants et d'autres pratiques de pêche industrielle
  • Les pratiques agricoles régénératrices qui reconstituent les sols, telles que les cultures de couverture, l'agriculture pérenne, l'agroforesterie et le pâturage holistique
  • Boisement et reboisement
  • Des paysages de rétention d'eau pour réparer le cycle hydrologique
  • Réintroduction et protection des espèces clés, des prédateurs de pointe et de la mégafaune
Pour effectuer une régénération efficace, nous ne pouvons pas nous appuyer sur des formules évolutives. Chaque lieu est unique. Ce qui fonctionne dans une vallée ou dans une ferme peut ne pas fonctionner dans la suivante. Lorsque nous considérons les lieux et les écologies de cette planète comme des êtres vivants et non comme des ensembles de données, nous avons réalisé la nécessité d'une connaissance intime des lieux. La science quantitative peut contribuer au développement de ces connaissances, mais elle ne peut se substituer à l'observation étroite et qualitative des agriculteurs et des autres populations locales qui interagissent quotidiennement avec la terre au fil des générations.

La profondeur et la subtilité des connaissances des chasseurs-cueilleurs et des paysans traditionnels sont difficiles à appréhender pour l'esprit scientifique. Ces connaissances, codifiées dans des histoires culturelles, des rituels et des coutumes, intègrent leurs pratiques dans les organes de la terre et de la mer afin qu'ils puissent participer à la résilience de la vie sur Terre. Malheureusement, une grande partie de ce qui est appelé "développement" - même le développement durable - mine leur mode de vie et les englobe dans l'économie mondiale des marchandises. Lorsque le développement signifie intégration dans l'économie mondiale, la monnaie forte, pour rembourser les prêts au développement et pour importer des biens de haute technologie, ne peut venir que de l'exportation de ressources naturelles, via l'exploitation forestière, l'extraction minière et l'agriculture industrielle. Ainsi, les deux premières priorités exigent que nous re-concevions l'ensemble du paradigme du développement, ainsi que le système financier qui lui est associé.

La troisième priorité est de cesser d'empoisonner le monde avec des pesticides, des herbicides, des insecticides, des plastiques, des déchets toxiques, des métaux lourds, des antibiotiques, de la pollution électromagnétique, des engrais chimiques, des résidus pharmaceutiques, des déchets radioactifs et d'autres polluants industriels. Ces substances affaiblissent la Terre au niveau des tissus et pénètrent dans toute la biosphère au point que, par exemple, on trouve maintenant des orques dont les niveaux de PCB sont suffisamment élevés pour classer le corps de l'orque comme un déchet toxique. Les insecticides néo-nicotinoïdes pénètrent dans les systèmes terrestres, entraînant une chute des populations d'insectes et, par conséquent, un déclin des oiseaux et du reste de la chaîne alimentaire. Dans les océans, la base de la chaîne alimentaire - le plancton - est attaquée parallèlement par le ruissellement agricole, la pollution chimique, les études sismiques et la décimation des prédateurs au sommet de la chaîne. Dans de vastes zones agricoles, le sol est pratiquement mort, de la simple terre, après des décennies d'utilisation d'engrais chimiques et de pesticides. D'immenses étendues de terre sur différents continents sont régulièrement pulvérisées avec des insecticides dans l'espoir de contrôler les vecteurs de maladies ou les espèces envahissantes. Le biote de la terre, l'ensemble des organismes vivants est constamment attaqué.

La quatrième priorité est de réduire les niveaux atmosphériques de gaz à effet de serre. Les changements brusques de la composition de l'atmosphère exercent une pression accrue sur les systèmes de vie mondiaux que le développement, l'extraction et la pollution ont déjà dangereusement affaiblis. Les écosystèmes - en particulier les forêts, les savanes et les zones humides - qui étaient autrefois des modèles de flux ancrés sont gravement endommagés. Dans le même temps, les gaz à effet de serre ont intensifié le flux thermodynamique du système, perturbant encore plus les modèles atmosphériques et endommageant encore plus les écosystèmes affaiblis. Cependant, même sans une augmentation des gaz à effet de serre, la destruction massive de la vie serait un désastre. Les émissions de combustibles fossiles intensifient une situation déjà mauvaise.

Si le lecteur est troublé par le fait que j'attribue la réduction des gaz à effet de serre à une quatrième priorité à peine plus élevée, considérez que la réduction des émissions est un sous-produit inévitable des trois autres priorités. D'une part, pour protéger et réparer véritablement les écosystèmes, il faudrait un moratoire sur les nouveaux oléoducs, les puits de pétrole offshore, les gaz et pétroles de schiste, l'extraction des sables bitumineux, la destruction des sommets montagneux, les mines à ciel ouvert et les autres formes d'extraction de combustibles fossiles, car toutes ces activités entraînent de graves dommages et risques écologiques. Pour aimer et prendre soin de chaque partie précieuse de cette planète, nous devons transformer l'infrastructure des combustibles fossiles, indépendamment de la question des gaz à effet de serre.

De plus, le reboisement et l'agriculture régénératrice peuvent séquestrer des quantités massives de carbone. Les estimations varient considérablement quant à la quantité de carbone que peuvent séquestrer les pâturages holistiques et l'horticulture biologique sans labour, mais les meilleurs praticiens tels qu'Allan Savory, Gabe Brown et Ernst Gotsch atteignent jusqu'à 8-20 tonnes/Ha par an, tout en égalant ou dépassant les producteurs conventionnels en termes de productivité, la plupart du temps sans produits chimiques. Étant donné que près de 5 milliards d'hectares de terres sont en pâturage ou en culture dans le monde, le passage de 10 à 25 % seulement à ces méthodes pourrait compenser 100 % des émissions mondiales actuelles. Certes, tous les agriculteurs ou éleveurs n'égaleront pas immédiatement le succès des innovateurs doués comme Savory, Brown ou Gotsch, mais le potentiel est énorme. En outre, les sceptiques du réchauffement climatique peuvent également soutenir ces pratiques pour leurs effets bénéfiques sur la biodiversité, les aquifères et le cycle de l'eau. Un sol sain absorbe les précipitations comme une éponge, atténuant les inondations, puis, par transpiration, les libère dans l'air au fil du temps, prolongeant ainsi la saison des pluies et transportant la chaleur de la surface vers l'atmosphère où elle rayonne davantage dans l'espace. Ainsi, elle contribue au refroidissement et à la résilience face au changement climatique.

Paradoxalement, nous n'avons pas besoin de déployer l'argument de l'effet de serre pour réduire les gaz à effet de serre. Les priorités énumérées ci-dessus suggèrent une myriade d'objectifs concrets et réalisables de protection et de régénération qui, additionnés, pourraient dépasser ce que réclame le mouvement climatique, mais avec des motivations différentes. Il existe cependant des points de départ importants. L'approche Planète Vivante rejette les grands projets hydroélectriques parce qu'ils détruisent les zones humides, dégradent les rivières et modifient le flux de limon vers la mer. Elle abhorre les plantations de biocarburants qui envahissent de vastes régions d'Afrique, d'Asie et d'Amérique du Sud, car ces plantations remplacent souvent les écosystèmes naturels et l'agriculture paysanne durable à petite échelle. L'approche Planète vivante redoute les projets de géo-ingénierie tels que le blanchiment du ciel avec des aérosols de soufre. Elle n'a guère besoin de machines géantes aspirant le carbone (technologie de capture et de stockage du carbone). Elle regarde avec horreur la consommation des forêts du monde entier pour produire des copeaux de bois destinés à des centrales électriques au charbon converties. Elle doute de la mise en place d'énormes éoliennes qui tuent les oiseaux et des vastes réseaux photovoltaïques dans des paysages dénudés.

Reconnaître la Terre comme étant vivante est un pas vers sa sacralisation. C'est un pas vers notre respect pour tous les êtres. N'est-ce pas - d'abord - ce que le Mouvement Climat souhaite vraiment ?

5. Dette et guerre

Le respect envers tous les êtres est le fondement d'une révolution de l'amour. Sans respect, nous mélangeons les cartes sans changer le jeu. La victime devient l'agresseur, l'agresseur devient la victime, la haine détourne la colère, le châtiment détourne la justice, la défaite engendre la vengeance, et la victoire engendre de nouveaux ennemis.

Le respect anime les quatre priorités que j'ai exposées. Elles ne se distinguent pas et ne peuvent pas se distinguer des autres dimensions de la guérison mondiale. Toute question de justice sociale, politique, économique, raciale ou sexuelle - toute restauration de la pleine humanité de ceux qui en ont été dépouillés - serait chez elle parmi elles, non pas en tant qu'ajout politiquement correct, mais en tant que composantes structurelles d'un même édifice. Aucun ne peut se passer des autres. Parmi ceux-ci, cependant, il y en a deux que je voudrais promouvoir à un statut spécial, car ils donnent le ton et le modèle de tous les autres : la dette et la guerre.

Imaginez que vous êtes un pays, disons l'Équateur. La communauté mondiale vient vers vous sous la forme d'un homme brandissant un drapeau de la Terre et vous dit : "Protégez vos forêts tropicales ! Protégez vos rivières, vos zones humides et votre sol ! Le destin du monde en dépend". Puis il pose le drapeau et sort un pistolet, le met sur votre tête et ajoute : "Cependant, vous devez continuer à payer vos dettes", sachant très bien que la seule façon d'y parvenir est de liquider précisément ces forêts tropicales, rivières, zones humides et sols. Refusez, et la punition est rapide. Le marché obligataire international vous abandonne. Votre monnaie s'effondre. Les sociétés transnationales et leurs alliés des États nations vous changent de régime. Le nouveau gouvernement, célébré comme "démocratique", instaure l'austérité, supprime les obstacles au pillage écologique et est récompensé par de nouveaux prêts au développement.

Rien de tout cela n'est dû à la méchanceté des banquiers, des bureaucrates d'État, des impérialistes militaires ou à la cabale des illuminati et des extraterrestres reptiliens qui dirigent les affaires mondiales en coulisses. Tout cela se produit pour répondre à une nécessité systémique de croissance économique. Un système monétaire basé sur une dette portant intérêt exige une croissance sans fin pour fonctionner et génère une pression sans fin sur tous ses participants pour qu'ils fassent quelque chose, n'importe quoi, pour apporter plus de nature dans le domaine des produits et de la propriété, et plus de relations dans le domaine des services.

Je plaisantais (en quelque sorte) sur les extraterrestres reptiliens. Ce serait sûrement bien d'identifier quelque chose, ou quelqu'un, que nous pourrions combattre et dominer pour sauver le monde. Conquérir le mal est la plus vieille solution du livre, une solution séduisante, une fausse solution qui voile la complexité et atténue le malaise de ne pas savoir à quoi s'en tenir. Mais si le mal était aux commandes du monde, il lui suffirait d'installer un système monétaire basé sur les intérêts, de s'asseoir et de regarder le chaos s'ensuivre.

Mon livre Sacred Economics (L'économie Sacrée) est l'un des nombreux ouvrages qui décrivent ce qui doit changer pour que l'économie rejoigne l'écologie. Une économie post-croissance est possible, qui comprend le progrès en termes autres que la croissance, et la richesse en termes autres que la quantité. Pour l'instant, je me contenterai de mentionner un premier pas dans cette direction, quelque chose que nous pourrions, un jour prochain, exiger : l'annulation de la dette à grande échelle. La dette est familière à tous les passagers du métro, et elle est au cœur du fonctionnement de la machine de croissance qui consomme le monde.

La machine de croissance étend les relations de marché dans tous les coins de la vie. Dans une relation de marché, chaque partie essaie d'obtenir la meilleure affaire, tandis que les autres êtres deviennent des instruments de son propre intérêt. La base relationnelle est donc une base d'hostilité. La dette, en particulier, est une forme de "pouvoir-sur" ; comme le dit David Graeber, derrière l'homme au grand livre se tient toujours un homme avec une arme.

La séparation et la domination inhérentes aux relations économiques fondées sur la dette prennent une forme extrême dans le phénomène de la guerre. L'industrie de la guerre consomme de grandes quantités d'argent, d'énergie et de matériel, mais la plus grande menace pour l'avenir réside dans la fracture de la volonté humaine collective. Le changement de cap vers la guérison du monde nécessitera de la solidarité et une cohérence des objectifs. Si nos énergies créatives et nos forces vitales sont épuisées à se battre les unes contre les autres, que restera-t-il pour mettre en œuvre cette puissante transition ? Notre navire a été saisi par un tourbillon. Peut-être que si tout le monde tire sur les rames, nous pourrons y échapper ; au lieu de cela, l'équipage se bat sur le pont alors que le navire se dirige vers sa perte.

Tant que la guerre sous toutes ses formes fera rage sur cette planète, aucune des quatre priorités de la Planète Vivante ne se réalisera. Lorsque la respect est la source de la révolution, alors le vrai révolutionnaire est le travailleur de la paix. La pensée guerrière génère un climat psychique inhospitalier au respect, car elle déshumanise l'ennemi et exclut du cercle d'empathie tout être qui se met en travers de l'effort de guerre. C'est ainsi que l'économie moderne a objectivé la nature et exclu du cercle de l'empathie tout être qui se met en travers du chemin du profit.

La réflexion sur la guerre va bien au-delà du conflit militaire. L'intense polarisation politique actuelle est une autre de ses expressions. La division en camps opposés, la déshumanisation de l'autre partie, l'association de la vertu morale à l'effort de guerre, la croyance que la solution à nos problèmes passe par la victoire - tout cela est la marque de la guerre. Si votre stratégie politique consiste à enflammer l'opinion publique au sujet des personnes inexcusables et répréhensibles de la politique, des entreprises ou de la police, vous faites la guerre. Si vous croyez que les gens de l'autre côté sont moins moraux, moins éthiques, moins conscients ou moins spirituels que vous, vous êtes au bord de la guerre. Alors oui, exposez les actions qui tuent le monde. Mais ne les attribuez pas à la perfidie des acteurs, et n'imaginez pas que virer les acteurs changera les rôles.

6. Polarisation et déni

J'ai évoqué plus tôt l'affirmation controversée selon laquelle la période médiévale chaude était plus chaude que la période actuelle. J'aimerais revenir sur ce point, non pas parce que je pense qu'il est important de l'établir d'une manière ou une autre, mais parce qu'il offre une fenêtre sur le problème plus profond de la polarisation, mentionné plus haut, qui fige notre culture dans un modèle de maintien sur toutes les questions pratiques importantes, et pas seulement sur le changement climatique.
Les reconstitutions graphiques en crosses de hockey semblent montrer qu'il fait plus chaud aujourd'hui que jamais au cours des dix mille dernières années. D'autre part, les sceptiques attaquent les fondements méthodologiques et statistiques de ces études, et apportent la preuve de températures chaudes précoces, telles que l'élévation du niveau de la mer au début et au milieu de l'Holocène, et des lignes de démarcation des arbres à des centaines de kilomètres au nord de l'endroit où elles se trouvent aujourd'hui.

Après plusieurs années de recherche livresques, je suis convaincu que je pourrais argumenter sur l'un ou sur l'autre côté de la question. Je pourrais, à l'aide de nombreuses citations, affirmer que la période de réchauffement médiéval (aujourd'hui appelée anomalie de température médiévale) n'était pas vraiment si chaude après tout, et en tout cas principalement concentrée dans l'Atlantique Nord et le bassin méditerranéen. Je pourrais également affirmer, en citant à nouveau des dizaines d'articles évalués par des pairs, que l'anomalie était importante et globale. Il en va de même pour presque tous les aspects du débat sur le climat - je peux argumenter suffisamment pour satisfaire les partisans de l'une ou de l'autre partie.

Déjà, le lecteur pourrait se demander si je ne suis pas en train d'insinuer une équivalence entre les deux camps, dont l'un est constitué de pseudo-scientifiques de droite sans scrupules financés par des entreprises qui laissent leur cupidité passer avant la survie de l'humanité, et l'autre de modestes scientifiques intègres soutenus par des institutions auto-controllées par les pairs qui veillent à ce que la position consensuelle de la science se rapproche toujours plus de la vérité. Ou bien est-ce que l'une des parties est constituée de braves dissidents qui risquent leur carrière pour remettre en question l'orthodoxie régnante, et l'autre de carriéristes qui pensent en groupe et qui n'aiment pas prendre de risques, et qui sont tenus de respecter le programme mondialiste des "écolos" et des enragés "verts" de gauche ?

Les invectives polarisées des deux côtés suggèrent un haut degré d'investissement de l'ego dans leurs positions et me font douter que l'une ou l'autre des parties accepterait des preuves qui contredisent leur point de vue. Elles ne peuvent même pas s'entendre sur ce qui constitue un fait. Chacun des nombreux camps, qui vont du catastrophiste à l'alarmiste en passant par le sceptique, semble occuper son propre espace de réalité. Soumettant toute information contradictoire à un examen hostile, chacun accepte sans poser de questions tout ce qui renforce sa propre position. Par conséquent, quel que soit le camp qui se trompe, il est peu probable qu'il le découvre un jour. Et cela, cher lecteur, inclut votre côté !

Face à l'extrême polarisation de la société occidentale actuelle, j'ai adopté une règle empirique qui s'applique aussi bien aux couples en guerre qu'à la politique : le plus important est de se trouver en dehors du combat lui-même, dans ce que les deux parties acceptent ou refusent tacitement de voir. Prendre parti, c'est valider les termes du débat, et garder cachées les questions cachées. Sur quoi les deux parties s'accordent-elles inconsciemment ? Qu'est-ce qui est considéré comme allant de soi ? Quelles sont les questions qui ne sont pas posées ? La férocité du débat pourrait-elle occulter quelque chose de plus important qui nécessite vraiment notre attention ?

Un accord tacite au niveau méta dans le débat sur le climat est la réduction de la question de la santé de la planète à la question de savoir si la planète se réchauffe à cause des gaz à effet de serre. En focalisant l'alarme de la détérioration écologique sur le réchauffement de la planète, nous impliquons que si les sceptiques ont raison, alors il n'y a pas lieu de s'alarmer. Dans le paradigme de la Terre vivante, il y a lieu de s'alarmer, quel que soit le camp qui a raison. Cependant, devant le récit du réchauffement incontrôlable, le mouvement climatique doit à tout prix prouver que les sceptiques se trompent - même au point d'exclure les preuves de températures chaudes historiques, à partir du moment où celles-ci ne correspondent pas au récit.

Le camp alarmiste focalise dans le réchauffement une authentique alarme à la détérioration anthropogénique de la biosphère, et à la condition humaine qui la motive. Quelque chose est en effet horriblement faux ; quelque chose qui concerne tout. Malheureusement, le mouvement écologiste a largement accepté le réchauffement climatique incontrôlable comme un substitut de l'injustice omniprésente qui est le véritable objet de sa dissidence. Ce faisant, je crains qu'il n'ait cédé un terrain sacré et qu'il n'ait accepté d'organiser la lutte sur un terrain difficile. Il a substitué une vente difficile à une vente facile. Il a remplacé par un récit de peur (les coûts du changement climatique) un récit d'amour (sauver les précieuses forêts). Il a conditionné le soin apporté à la terre à l'acceptation d'une théorie politiquement chargée qui exige la confiance dans l'institution scientifique et dans les systèmes d'autorité qui l'intègrent. Et ce, à un moment où la confiance globale dans l'autorité est, à juste titre, en déclin.

Quant aux sceptiques, je crains que l'insulte "négationniste" soit dans bien des cas exacte. Qu'il y ait ou non des critiques valables à formuler à l'égard de la science climatique de l'establishment, la position sceptique fait généralement partie d'une identité politique plus large qui, pour maintenir sa solvabilité, doit écarter tout problème environnemental en même temps que le réchauffement de la planète. S'en tenant à une position selon laquelle tout va bien, les blogs climato-sceptiques insistent généralement sur le fait que les déchets plastiques, les déchets radioactifs, les polluants chimiques, la perte de biodiversité, la pollution électromagnétique, les OGM, les pesticides, etc. ne sont pas non plus un problème ; par conséquent, rien ne doit changer.

Craignant le profond changement qui s'annonce, les sceptiques du climat ne sont que les plus évidents négateurs. De manière perverse, le courant dominant du réchauffement climatique perpétue également une sorte de déni, en soutenant une vision de la durabilité accessible simplement en changeant de source d'énergie. L'oxymore commun de "croissance durable" illustre cette illusion, car la croissance à notre époque implique la conversion de la nature en ressource, en produit, en argent.

De manière perverse, le récit dominant sur le réchauffement climatique facilite le déni en focalisant l'alerte sur une théorie scientifique qui peut être contestée et dont la preuve ultime ne pourra venir que lorsqu'il sera trop tard. Avec des effets qui sont loin dans l'espace et dans le temps, et qui sont également loin d'être causaux, il est beaucoup plus facile de nier le changement climatique que de nier, par exemple, que la chasse à la baleine tue les baleines, que la déforestation assèche la terre, que le plastique tue la vie marine, etc. De la même manière, les effets de la guérison écologique basée sur le local sont plus faciles à voir que les effets climatiques des panneaux photovoltaïques ou des éoliennes. La distance causale est plus courte et les effets plus tangibles. Par exemple, lorsque les agriculteurs pratiquent la régénération des sols, la nappe phréatique commence à remonter, des sources qui étaient sèches depuis des décennies reviennent à la vie, les cours d'eau recommencent à couler toute l'année, et les oiseaux chanteurs et la faune reviennent. On peut voir tout cela sans avoir besoin de se fier aux déclarations des autorités scientifiques.

En outre, si la sincérité et l'intelligence de la plupart des scientifiques individuels ne font aucun doute, la science, en tant qu'institution, est soumise à un préjugé de confirmation collective qui l'a constamment égarée. En témoigne l'effondrement récent de deux orthodoxies de longue date, presque universellement acceptées : (1) que le cholestérol alimentaire et les graisses saturées provoquent l'artériosclérose, et (2) que l'évolution se produit uniquement par mutation aléatoire et sélection naturelle. (Ce dogme était incontestable jusqu'à ce que le transfert horizontal de gènes, l'épigénétique et l'auto-édition de gènes soient acceptés). La méfiance du public envers l'autorité scientifique n'est peut-être pas entièrement injustifiée, surtout lorsque la science, qui s'est révélée défectueuse par la suite, a été si souvent invoquée pour nous assurer de la sécurité des pesticides, des OGM, des antennes de téléphonie cellulaire et de divers médicaments pharmaceutiques toxiques. Cela ne veut pas dire que la science du climat est erronée ; c'est une mise en garde contre le fait de compter sur l'acceptation du public, alors qu'une telle acceptation n'est pas nécessaire dans le cadre du paradigme de la Terre vivante. Les élites attribuent tacitement la résistance du public à la science à l'irrationalité et à l'ignorance, en proposant des remèdes condescendants pour les corriger. La leçon à retenir sur le changement climatique est-elle "Nous aurions dû faire confiance aux scientifiques ? Nous aurions dû écouter le professeur ? Nous aurions dû croire que ce que l'autorité nous disait était vrai ?"

De nombreux membres de la gauche considèrent la science (en tant qu'institution) comme le dernier bastion de la raison dans une culture par ailleurs dégénérée, un rempart contre la montée de l'irrationalité. Et si elle était tout aussi défectueuse que nos autres institutions ? Si elle est détrônée en tant qu'arbitre final du bien et du mal, comment nous reconnaîtrions-nous en tant que membres de l'Équipe du bien et nous identifierions-nous comme les porteurs de lumière de la raison dans une croisade contre une ignorance qui menace le monde même ?

Ce n'est pas un appel à l'abandon de la science, mais plutôt à un retour à sa source sacrée : l'humilité. Libérée de son ossification institutionnelle, la science renverserait probablement bon nombre des dogmes établis que ses évangélistes proclament comme des vérités inattaquables. Je ne suis pas le seul à avoir vécu des expériences que la science qualifie d'absurdités impossibles, à avoir bénéficié de modalités de guérison que la science qualifie de charlatanisme, ou à avoir vécu dans des cultures où des phénomènes scientifiquement inacceptables étaient monnaie courante. Cela ne veut pas dire que le récit habituel du réchauffement climatique est faux. Je n'en sais rien du tout. C'est juste que je ne sais pas non plus si elle est juste. Ce que je pense, c'est qu'il est extrêmement incomplet. C'est pourquoi j'ai tourné mon attention vers ce que je sais, en commençant par les connaissances qui me viennent de mes propres pieds nus.

Cette connaissance est la connaissance que la Terre est vivante. Du point de vue de la Terre vivante naissent des politiques et des actions qui ont un sens quel que soit le côté du débat sur le climat.

7. Extinction et finalité

La vision de la planète vivante reconnaît un lien intime entre les affaires humaines et écologiques. J'entends souvent les gens dire : "Le changement climatique n'est pas une menace pour la Terre. La planète se portera bien. Seuls les êtres humains pourraient s'éteindre". Si nous comprenons l'humanité, cependant, comme la création bien-aimée de Gaïa, née dans un but évolutif, alors nous ne pourrions plus dire qu'elle se portera bien sans les humains comme nous pourrions dire qu'une mère se portera bien si elle perd son enfant. Je suis désolé, mais elle n'ira pas bien.

L'idée susmentionnée d'un but évolutif, bien que contraire à la science biologique moderne, découle naturellement d'une vision du monde et du cosmos comme étant sensible, intelligent ou conscient. Elle ouvre la question "Pourquoi sommes-nous ici ?" et même "Pourquoi suis-je ici ?" Gaïa a fait pousser un nouvel organe. À quoi sert-il ? Comment l'humanité pourrait-elle coopérer avec tous les autres organes - les forêts, les eaux, les papillons et les phoques - au service du rêve du monde ?

Je ne connais pas les réponses à ces questions. Je sais seulement que nous devons commencer à les poser. Nous devons - et non comme une question de survie. Que ce soit en tant qu'individus ou en tant qu'espèce, nous vivons pour quelque chose, et si nous le négligeons, alors la vitalité, la vivacité, s'affaiblit. On ne nous donne pas la vie simplement pour survivre.

On ne nous donne pas la vie simplement pour survivre. Aucun organisme sur Terre ne se contente de survivre. Chacun offre des cadeaux à l'ensemble. C'est pourquoi un écosystème s'affaiblit lorsqu'on lui enlève une espèce. Dans l'optique d'une concurrence pure, une espèce devrait être en meilleure posture lorsque son concurrent s'éteint, mais en fait elle est en pire posture. Là encore, la vie crée les conditions nécessaires à la vie. Selon ce principe, les humains sont là pour faire des cadeaux au reste de la vie aussi ; nous sommes là pour servir la vie. En tant que civilisation, nous avons longtemps fait le contraire. Rien de moins qu'une révolution totale de l'amour, un grand tournant, sera donc nécessaire.

Par conséquent, des mouvements comme Extinction Rébellion ne peuvent pas, dans leur racine, porter uniquement sur la survie de l'homme. Sa rhétorique parle de points de basculement irréversibles, de boucles de rétroaction du méthane, douze ans avant qu'il ne soit trop tard, mais je refuse de croire que c'est de cela qu'il s'agit. Comme je l'ai écrit précédemment, si les températures mondiales cessaient d'augmenter, l'urgence de rébellion ne serait pas moindre.

Le scénario suivant démontre clairement que l'objet de notre lutte n'est pas réellement la survie de l'espèce humaine. Une possibilité plus terrible se cache derrière la peur par procuration de l'extinction. Supposons que nous soyons capables de continuer à transformer la Terre en un gigantesque parking, une mine à ciel ouvert et une décharge. Supposons que nous remplacions le sol par des fermes hydroponiques et des cultures de cellules de viande en cuve. Supposons que nous migrions entièrement notre vie dans des espaces intérieurs à climat contrôlé. Supposons que nous développions des miroirs spatiaux, des machines aspirant le carbone et des produits chimiques blanchissant le ciel pour contrôler les températures mondiales. Supposons que nous poursuivions le cours des dix mille dernières années, au cours desquelles chaque génération laisse la planète un peu moins vivante que la précédente. Et supposons que, comme au cours des dix mille dernières années, l'humanité continue de croître dans sa richesse mesurable. J'appelle ce scénario le monde concret, dans lequel la nature est complètement morte, remplacée par la technologie, et nous semblons à peine remarquer que nous nous branchons sur le remplacement numérique artificiel de la nature. Ici, l'extinction n'est pas celle de l'humanité, mais celle de tout le reste. Je vous pose la question : est-ce un avenir acceptable ?

Le mouvement pour le climat a fait de la survie de l'homme le principal enjeu. C'est une erreur.
Voici trois raisons qui explique pourquoi :
(1) Il renforce la valorisation de la nature pour son utilisation par les hommes, ce qui est la même mentalité qui a longtemps facilité sa spoliation.
(2) Que cela continue ou non à être vrai, l'expérience nous a jusqu'à présent démontré que les humains survivront très bien alors que le reste de la vie meurt - il y a de plus en plus d'humains et de moins en moins du reste du vivant.
(3) Il est malhonnête de faire de la question de la survie de l'homme une question de survie, alors que ce n'est pas vraiment ce qui nous motive. Supposons que la survie humaine sur un monde mort soit garantie - pousserions-nous un soupir de soulagement et rejoindrions-nous l'écocide ?

Extinction Rébellion concerne (ou devrait concerner) le type de monde dans lequel nous voulons vivre. Il s'agit de savoir qui nous voulons être. Il s'agit de savoir pourquoi nous sommes ici et ce que nous servons. Il s'agit de se tourner et de se mettre au service de toute la vie.

Pourquoi voudrions-nous servir la vie ? Contrairement à l'auto-préservation, ce désir ne peut venir que de l'Amour.

Examinons une autre dimension de l'extinction. J'ai posé ci-dessus un scénario dans lequel la nature meurt tandis que l'humanité survit. Mais le simple fait d'énoncer cela implique la séparabilité de l'humanité et de la nature. En fait, nous sommes inséparables ; nous sommes l'expression de la nature. Par conséquent, nous ne pouvons pas être "juste bien" quand le reste de la vie est en train de mourir. Ce n'est pas nécessairement que nous ne pouvons pas survivre quand les autres meurent. C'est qu'avec chaque extinction, avec chaque écosystème, chaque lieu et chaque espèce qui passe, quelque chose de nous-mêmes meurt aussi. Avec l'affaiblissement de nos relations, nous devenons moins entiers. Nous pourrions continuer à progresser en termes de PIB, de kilomètres parcourus, d'années vécues, de surface au sol et d'unités de climatisation par habitant, de niveau d'éducation, de consommation totale, de téraoctets, de pétaoctets et d'exaoctets, mais ces quantités sans cesse croissantes ne feront que masquer et détourner une faim spirituelle dévorante pour toutes les choses qu'elles ont déplacées : le lien et l'appartenance, un chant d'oiseau familier qui est chaque fois un peu différent, l'odeur du printemps, le gonflement des bourgeons, le goût d'une framboise gorgée de soleil, les grands-pères qui racontent des histoires sur un endroit que les enfants connaissent bien eux aussi. Chaque pas dans une chambre d'isolement de notre propre fabrication aiguise ainsi notre souffrance. Nous voyons déjà les symptômes de l'extinction en nous, dans les taux croissants de dépression, d'anxiété, de suicide, de dépendance, d'automutilation, de violence domestique et d'autres formes de misère qu'aucune richesse matérielle ne peut apaiser.

En d'autres termes, l'épuisement de la vie sur terre s'accompagne d'un épuisement de nos âmes. En détruisant les êtres, nous détruisons notre propre être. N'étant plus enchevêtrés dans un réseau de relations intimes et mutuelles, ne participant plus à la vie autour de nous, entourés de choses contenues et mortes, nous devenons nous-mêmes moins vivants. Nous devenons des zombies, nous demandant pourquoi nous nous sentons si morts à l'intérieur. C'est la source ultime des protestations. Nous aspirons à retrouver la vie. Nous voulons renverser l'âge de la séparation.

Que servons-nous ? Quelle vision de la beauté nous appelle ? C'est la question que nous devons nous poser en passant par le portail initiatique que nous appelons le changement climatique. En la posant, nous convoquons une vision collective qui fonde une histoire commune, un accord commun. Je ne pense pas que l'histoire sera le vieil avenir des voitures volantes, des serviteurs robots et des villes bulles surplombant un paysage aride et désertique. Ce sera un avenir où les plages regorgeront à nouveau de coquillages, où nous verrons des baleines par milliers, où des volées d'oiseaux s'étendront d'horizon en horizon, où les rivières couleront propres et où la vie sera revenue dans les lieux en ruines d'aujourd'hui.

Comment parvenir à un tel avenir ? Je ne le sais pas, mais je peux dire ceci : parce que la cause de la crise écologique est globale, la solution est aussi globale. Toute guérison fait partie de la guérison de la Terre. Si nous devons émettre des demandes, ou peut-être plutôt des invitations, élargissons-les pour inclure tous ceux qui ont besoin de guérison, même et surtout ceux qui ne semblent pas importants : les prisonniers, les démunis, les marginaux, les lieux et les personnes négligés. L'humanité est aussi un organe de Gaia, et la Terre ne sera jamais saine si la civilisation ne l'est pas. Le climat social, le climat politique, le climat relationnel, le climat psychique et le climat global sont inséparables. Une société qui exploite les personnes les plus vulnérables exploitera nécessairement les lieux les plus vulnérables aussi. Une société qui fait la guerre à d'autres personnes, conditionnée à la violence, fera sûrement la même chose sur la terre. Une société qui déshumanise certains de ses membres dévalorisera toujours les êtres non humains également. Et une société qui se consacre à la guérison à un niveau, en viendra inévitablement à servir la guérison à tous les niveaux.

Tout acte de guérison, aussi petit soit-il, est une prière, une déclaration sur la façon dont le monde doit être. Pouvons-nous nous connecter à notre amour pour cette planète vivante et blessée, et canaliser cet amour à travers nos mains et nos esprits, notre technologie et nos arts, comme nous le demandons ? Comment participer au mieux à la guérison et au rêve de la Terre ?

1 commentaire:

  1. Dans cet article, la phrase souvent entendue " Si l'humanité disparaît, la terre continuera de tourner et les autres espèces survivront" semble contestée par l'auteur. Il s'appuie sur le fait que l'homme fait partie de l'écosystème et que ce chaînons manquera à la vie sur terre. NON il ne manquera pas car un nouvel écosystème se créera SANS L'HOMME ... Yves Paccalet (philosophe et naturaliste) dit au contraire:"L'humanité disparaîtra, bon débarras !". Je pense qu'il a raison même si je ne suis pas si pressé que cela de voir l'humanité disparaître ...

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